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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/248

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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

lieues, avec leurs femmes et leurs enfans. J’ai compté, le jour de la fête, quinze mille pélerins qui couchèrent en plein air. Tous ces Indiens adorent le Christ de Chalme, baisent la main du prieur, lavent leurs plaies à une fontaine miraculeuse, et déposent dans le trésor du Christ une pièce d’argent. Année commune, ces offrandes font un total de 100,000 piastres, ce qui, joint à une fabrique d’eau-de-vie et quelques belles propriétés, tient le couvent dans un état prospère. On a soin, pendant les offices, d’éblouir les Indiens par des feux d’artifice exécutés à la porte de l’église en plein jour, et par une musique bruyante que les habitans d’un village, situé aux environs de Mexico, ont le privilége d’exécuter depuis deux cents ans, moyennant 20 piastres qui leur servent de viatique. Une seule fois ces musiciens avaient manqué, voici à quelle occasion : étant en route pour Chalme, ils furent rencontrés par un général qui guerroyait contre les armées espagnoles. Le général, qui n’avait jamais été à Chalme, voulut les entendre, et il fut si émerveillé de leur talent, qu’il les emmena pour faire de la musique au régiment. Une autre catastrophe mit le couvent en péril ; le feu prit à l’église et le Christ miraculeux fut réduit en cendre. Quelque temps après, le Christ ressuscita, et la vénération des fidèles n’en fut que plus grande.

On ne voyage pas dans la Nouvelle-Espagne sans courir de grands dangers à moins d’être accompagné par un moine. En me rendant à Chalme, j’avais pris ce dernier parti, ce qui n’empêchait pas les habitans des campagnes de me considérer comme pestiféré. J’ai vu des Indiens fuir à mon approche, et s’enfermer dans leurs maisons pour éviter la vue d’un hérétique. Il fallait au moine toute son influence pour leur persuader que j’étais catholique, et qu’ils pouvaient sans danger me regarder en face.

Ce fanatisme n’a pas mal servi au succès de la cause nationale, mais si le clergé mexicain n’eût été à la tête du mouvement, les Espagnols seraient encore les dominateurs de ces belles contrées ; on en jugera par une circonstance