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ÎLE DES AMIS.

insulaires et nous une intimité dont les deux peuples recueillaient également des fruits doux et solides.

Les habitans de Tonga observent religieusement l’usage, remarqué par les plus anciens navigateurs, de changer de nom avec l’ami qu’ils ont choisi ; dès l’origine de nos liaisons, ils le mirent en pratique à bord. Les deux chefs Palou et Lavaka, qui depuis notre échouage étaient restés nos fidèles commensaux, avaient adopté des amis parmi nos officiers, et les gens de leur suite avaient aussi placé leurs affections parmi le reste de l’équipage. Pour moi, occupé presque tout le jour à dessiner les sujets variés qui se présentaient en foule, j’avais eu peu de relations particulières avec les indigènes, lorsque deux jours après notre ancrage, l’anglais Ritchett, que j’avais eu occasion d’obliger quelquefois en renouvelant son acoutrement européen, m’aborda sur le pont, et me montrant un homme assis à l’écart sur le bastingage, me dit que cet homme voulait être mon ami. Je demandai à Ritchett quel était ce personnage que je n’avais pas encore aperçu parmi les autres insulaires. Oh ! monsieur, me répondit l’Anglais, c’est un grand chef et un grand guerrier ; cet homme est le Napoléon de Tonga-Tabou. À une aussi imposante dénomination, je ne balançai pas : je m’avançai vers le chef qui me tendit la main en souriant, j’appuyai mon nez contre le sien ; je lui dis mon nom, il m’apprit le sien, et dès ce moment, je devins pour toute la population de l’île un autre lui-même. Mon nouvel ami se nommait Tahofa.

L’Anglais ne m’avait pas trompé ; Tahofa jouissait réellement d’une autorité et d’un crédit fort étendus ; nous en eûmes plus tard des preuves qui nous coûtèrent malheureusement trop cher. Ce chef, qui eut