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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/28

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VOYAGES.

ce que le peuple récolte péniblement. Le nombre et le mérite personnel de ces courtisans rapportent au chef plus ou moins de considération ; ils sont en même temps les conseillers et les gardes-du-corps du patron qu’ils servent ; on les nomme mataboulais. Nos trois hôtes, qui ne quittaient pas la corvette, s’étaient fait accompagner d’un assez grand nombre de ces mataboulais, de sorte que nous possédions une quantité de convives que nous fêtions de notre mieux, pour répondre aux politesses des chefs. Aussitôt qu’on avait desservi nos tables, les cuisiniers se remettaient à l’œuvre pour nos hôtes et leur suite ; et ce n’était pas un spectacle peu récréatif pour nous que de voir ces messieurs assis gravement à table, imiter tant bien que mal nos usages, et se faire servir par nos domestiques, qui avaient ordre de ne leur rien refuser. Nous remarquions surtout le gros Palou, qui, ayant deux Anglais à son service, se piquait de savoir les belles manières, et qui, pour le prouver, tendait à chaque instant son verre, demandait du rum, et buvait tour à tour à la santé des convives, non sans faire quelques grimaces.

Pendant que nous menions à bord du navire cette vie tout à la fois tranquille et confortable, l’extérieur de la corvette offrait du matin au soir les scènes les plus variées. Dès que le soleil se montrait à l’horizon, une foule de pirogues nous entourait de toutes parts ; les naturels qu’elles apportaient grimpaient aussitôt contre les flancs du navire, et, malgré la protection de nos filets d’abordage qui étaient constamment hissés, les factionnaires ne pouvaient qu’avec peine empêcher les plus entreprenans de s’introduire sur le pont. Un triple rang d’hommes et de femmes chargeait nos porte-haubans, et leurs cris assourdissans ne laissaient pas de nous