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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/415

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VII
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

dresse des tables de proscription ; c’est un Romain qui peut répondre au sénat, effrayé des cris de 6,000 victimes : « Ce n’est rien, je fais châtier quelques factieux ; » c’est quarante ans après l’égalité défendue par les Gracches que Lacretien Ofella est tué pour avoir brigué le consulat, et que son assassin, que Sylla ose dire : « Sachez que j’ai fait tuer Ofella, parce qu’il m’avait résisté. » Puis, après tous ces crimes, lorsqu’on voit le même homme se promener libre au milieu des hommes qu’il a couverts de sang, et recevoir, à sa mort, des honneurs divins, combien l’on doit plaindre la patrie de Brutus, combien on voit empreint à jamais sur son front le stigmate de la servitude ! Ces sentimens trouvent en M. Michelet un bien digne interprète : jusqu’au dernier chapitre, son histoire est un regret bien senti sur les ruines de la liberté romaine.

Cet ouvrage doit être placé en première ligne parmi tout ce qui a été fait sur Rome. À la philosophie de l’histoire, l’auteur joint une élégance et un intérêt de style qui attache à la lecture de cet ouvrage comme si l’histoire romaine était un roman nouveau. Enfin, c’est l’œuvre d’un homme qui a de l’âme et une science profonde.

A. L.


Attar-Gul, roman maritime, par M. Eugène Sue ; chez Vimont, passage Véro-Dodat.

Les romans de M. Sue sortent de la classe ordinaire par leur but d’utilité. En nous familiarisant avec la langue maritime, avec la vie et les mœurs du marin, ils dirigent notre attention vers un point qu’on a trop souvent perdu de vue en France. — « Je suis persuadé comme vous, dit l’auteur dans sa préface, adressée au créateur du roman maritime, M. Fénimor Cooper, que si l’esprit général de notre nation pouvait arriver peu à peu à comprendre tout ce qu’il y a de forces, de ressources, de moyens ou de conquêtes commerciales dans la marine, la France pourrait devenir l’égale de toute-puissance européenne sur l’Océan. »

Honneur donc à l’écrivain qui, dans cette noble pensée, a entrepris de nous initier à la vie si poétique du marin ! Et puis M. Sue a découvert un nouveau filon à la mine littéraire ; et le titre d’inventeur aujourd’hui est si rare, qu’il ne faut pas l’oublier. Dans cette même préface, M. Sue expose à Cooper la manière dont il entend le roman maritime ; son système est différent de celui du romancier américain. « Je me suis demandé, dit-il, pourquoi dans les romans maritimes surtout, dont le cercle est immense, dont les scènes sont surtout séparées entre elles par des milliers de lieues, on ne tenterait pas de jeter cet imprévu, ces apparitions soudaines qui brillent un instant