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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/418

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VOYAGES.

des hommes, et de larges crevasses faites par le temps. C’est le manoir de Saint-Michel, vieille forteresse des comtes de Genève, célèbre dans la contrée, comme le Nant-Noir, par les démons qui l’habitent et les trésors magiques qu’il recèle.

Le redoutable palais, l’ancienne citadelle d’Aymon et de Gérold est là, solitaire et lugubre comme le corbeau qui croasse joyeusement sur sa ruine. Les remparts noirâtres, inégalement rompus par les ans, s’élèvent à peine au-dessus des touffes de houx, de genêts, de ronces qui obstruent le fossé et l’avenue ; des rideaux de lierre usurpent la place des lourds ponts-levis et des herses de fer. Au-dessus monte à perte de vue une forêt de mélèzes et de sapins ; au-dessous bouillonne l’Arve tout embarrassée d’éclats de granit, tombés du rocher qui porte le château de Saint-Michel. L’un de ces rocs arrondis par la lutte des eaux arrête plus long-temps et domine de plus haut que tous les autres le cours du torrent. De temps en temps l’Arve l’investit de vagues furieuses, les presse, les roule, les gonfle, les amoncèle, surmonte enfin le rocher qui reste quelque temps inondé de tous ces flots dorés comme d’une chevelure blonde, puis tout retombe, et pendant que l’Arve grondant recommence un nouvel assaut, le front du roc reparaît chauve et nu.

Un pont se présente. Nous reprenons la rive gauche de l’Arve ; et tandis que nos chars-à-bancs nous suivent péniblement, nous commençons à gravir à pied les montées. C’est un chemin étroit et rapide, laborieusement tracé le long d’un escarpement effrayant, auquel rien ne peut se comparer, si ce n’est la pente de la montagne qui borde l’Arve de l’autre côté. Ce passage, tantôt creusé dans le roc vif, tantôt suspendu