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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/548

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LITTÉRATURE.

préparée pour les mouvemens de tous ces corps silencieux. Ces masses, disposées avec la symétrie de l’art militaire, réfléchissaient les rayons du soleil par le feu triangulaire de dix mille baïonnettes étincelantes. L’air agitait tous les plumets des soldats en les faisant ondoyer comme les arbres d’une forêt, courbés sous un vent impétueux. Ces vieilles bandes, muettes et brillantes, offraient mille contrastes de couleurs dus à la diversité des uniformes, des paremens, des armes et des aiguillettes. Cet immense tableau, miniature d’un champ de bataille avant le combat, était admirablement encadré, avec tous ses accessoires et ses accidens bizarres, par ces hauts bâtimens majestueux, dont chefs et soldats imitaient en ce moment l’immobilité. Le spectateur comparait involontairement ces murs d’hommes à ces murs de pierre.

Le jeune soleil du printemps illuminait de ses jets capricieux, et les murs blancs bâtis de la veille, et les murs séculaires, et ces innombrables figures basanées dont chacune racontait des périls passés. Les colonels de chaque régiment allaient et venaient seuls devant les fronts que formaient ces hommes héroïques ; mais derrière les masses carrées de ces troupes bariolées d’argent, d’azur, de pourpre et d’or, les curieux pouvaient apercevoir les banderoles tricolores attachées aux lances de six infatigables cavaliers polonais, qui, semblables aux chiens conduisant un troupeau le long d’un champ, voltigeaient sans cesse entre les troupes et les Parisiens, pour empêcher ces derniers de dépasser le petit espace de terrain qui leur était concédé auprès de la grille impériale.

À ces mouvemens près, on aurait pu se croire dans le palais de la Belle au bois dormant.

Les brises du printemps, passant sur les bonnets à longs poils des grenadiers, attestaient l’immobilité des soldats, de même que le murmure sourd de la foule accusait leur silence. Parfois seulement le retentissement d’un chapeau chinois, ou un léger coup frappé par inadvertance sur une