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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/561

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LE RENDEZ-VOUS.

avait imprimée à son pâle visage disparut comme si une lueur eût cessé de l’éclairer. N’éprouvant ni le désir de revoir le paysage, ni la curiosité de savoir quel était le voyageur dont le cheval galopait dans le lointain, elle se replaça dans le coin de la calèche, et ses yeux se fixèrent sur la croupe des chevaux, sans trahir aucune espèce de sentiment. Elle avait l’air aussi stupide que peut l’avoir un paysan écoutant le prône de son curé.

Un jeune homme, monté sur un cheval de prix, sortit tout à coup d’un bouquet de peupliers et d’aubépines en fleurs.

— C’est un Anglais !… dit le colonel.

— Oh ! mon Dieu, oui, mon général ! répliqua le postillon ; c’est un de ces gars qui veulent manger la France, à ce qu’on dit.

Le colonel garda le silence.

L’inconnu était un de ces voyageurs qui se trouvèrent sur le continent lorsque Napoléon arrêta tous les Anglais, en représailles de l’attentat commis envers le droit des gens par le cabinet de Saint-James lors de la rupture du traité d’Amiens.

Soumis à tous les caprices du pouvoir impérial, ces prisonniers ne restèrent pas tous dans les résidences où ils furent saisis, ou dans celles qu’ils eurent d’abord la liberté de choisir. La plupart de ceux qui habitaient en ce moment la Touraine y avaient été transférés de divers points de l’empire où leur séjour avait paru compromettre les intérêts de la politique continentale. Le jeune captif qui promenait en ce moment son ennui matinal, était lui-même une victime de la puissance bureaucratique ; car, depuis peu de mois, un ordre parti du ministère des relations extérieures l’avait arraché au climat de Montpellier, où la rupture de la paix le surprit autrefois cherchant à se guérir d’une affection pulmonaire.

Du moment où ce jeune homme reconnut un militaire dans la personne du comte d’Aiglemont, il s’empressa d’en