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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/99

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LE BONNET DU MAÎTRE LA JOIE.

bourrasque mon petit mât d’hune et mon bâton de fer furent emportés…

Alors une affreuse idée s’empara de l’équipage, consterné de cette perte, et les matelots s’avancèrent vers moi en poussant avec un horrible accent de rage ces cris frénétiques : — À la mer, à la mer, le Croque-Mort !… il est cause de tout…

Je frémis… et regardais La Joie. Pour la première fois, je le vis sourire… mais quel sourire, mon Dieu !

— Infâmes ! m’écriai-je en m’armant d’un anspec, je vous assommerai comme des chiens si vous faites un seul pas.

— À la mer… à la mer !… Nous ne voulons pas sombrer pour lui… À la mer !…

Ils s’approchèrent encore. Je me jetai au-devant de La Joie, qui me dit : — Laissez-les faire… C’est écrit…

— Laisser commettre un assassinat de sang-froid !… Non, f… non… Descends dans ma chambre, tu y trouveras mes pistolets ; tu remonteras avec… En attendant, je vais les maintenir…

Et ce disant, je tournai rapidement mon anspec en m’avançant vers eux.

— Pardon, capitaine… mais le Croque-Mort y passera, dit l’un d’eux…

— Oui, oui, il y passera, répétèrent-ils avec fureur.

Et leurs cris dominaient le sifflement de la tempête.

Au même instant, un nœud d’agui me fut lancé ; je tombai sur le pont, et fus garrotté en un moment… J’écumais de rage en voyant La Joie, calme, les attendre impassible…

— À ton tour maintenant, cria le maître voilier, homme d’une taille énorme, en s’avançant vers le maître.

En ce moment, la tempête était si furieuse, que le navire donna un violent coup de roulis, et presque tous les matelots roulèrent sur le pont.

— Profite de l’embellie !… criai-je à La Joie… À ma chambre !…

Mais lui, s’élançant après les haubans d’artimon, fut d’un bond sur la lisse du navire.