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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/232

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REVUE DES DEUX MONDES.

Minerve et de Rémus ne le satisferont ; en vain le nomade Breton a poursuivi tous les souvenirs ; en vain il s’est penché sur tous les débris, il n’a rien trouvé qui pût combler le vide de cette ame qui se dévore et s’alimente sans relâche. Cette ame dépasse les proportions de tous les spectacles qu’il se donne, elle le fait plus grand que toutes les grandeurs accumulées à ses pieds ; il rêve au-delà d’elles ; et mécontent de la terre qu’il a visitée, des hommes qu’il craint et qu’il connaît peu, triste, ramené à Dieu par cet ange de la mélancolie qui est sa muse, il n’a plus pour tempérer l’amertume des jours qui pèsent sur lui, qu’à faire éclater sur sa lyre ses douleurs et ses chants. Alors, à ces accens nouveaux, les peuples s’arrêtent, les générations s’émeuvent au fond de l’ame, on les dirait suspendues aux lèvres du poète pour boire avec ivresse une si délectable harmonie : jamais, avant lui, on n’avait entendu rien de si doux et de si magique ; il règne dans tous les cœurs, surtout dans celui des femmes et des adolescens. Eh ! qui n’a pas enchanté sa première jeunesse avec les tristesses de René ? Il faut être Français, monsieur, pour comprendre entièrement le culte que chacun de nous a voué au chantre des Martyrs ; il a doté la France d’une poésie qu’on s’opiniâtrait à lui refuser ; il a innové sans l’altérer dans la langue de Bossuet et de Racine ; c’est un harmonieux mélange des formes d’Homère et de Tacite ; surtout c’est un poète divin ; je lui appliquerais volontiers ces paroles qui lui appartiennent : « La vie des poètes est à la fois naïve et sublime, ils célèbrent les dieux avec une bouche d’or, et sont les plus simples des hommes ; ils causent comme des immortels ou comme de petits enfans ; ils expliquent les lois de l’univers, et ne peuvent comprendre les affaires les plus innocentes de la vie ; ils ont des idées merveilleuses de la mort, et meurent sans s’en apercevoir, comme des nouveau-nés. » Aussi, monsieur, il n’y a pas de colère politique dont les flots ne doivent venir expirer aux pieds de notre poète : dans tous les rangs il est révéré ; aussi la France s’est soulevée de dégoût à l’aspect des alguazils qui ont violé l’asile du serviteur des Muses. Toujours et partout où le génie jouira de ses franchises, surtout en terre de France, M. de Chateaubriand est inviolable et sacré.