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ASPIRANT ET JOURNALISTE.

et le nombre 9, qui marquait celui des nuits passées auprès de mon lit par ces excellentes filles. Je partis. À Blois, où je me reposai près d’une semaine, je vis sur un journal le tirage de Paris ; quelle surprise ! quel bonheur ! 20, 17 et 9 étaient sortis ! J’avais fait cadeau d’un terne à mes hôtesses ! Elles avaient pu gagner quinze ou dix-huit cents francs ! — Je n’ai jamais su si elles avaient joué. Je l’aurais été demander à la boutique du chaudronnier, quand je suis passé à Tours en revenant d’Alger ; mais toute la ville était en émoi, pour l’arrestation de M. de Peyronnet, et d’ailleurs le conducteur de la diligence ne m’aurait pas donné le temps de faire cette visite qui aurait été longue. Que sont devenues ces trois belles filles depuis 1815 ?

D’Orléans à Bourges, j’avais voyagé dans une grande voiture avec huit officiers de différentes armes de la garde impériale. Cette partie de ma longue route me fut très-agréable ; je rencontrai là un des hommes les plus gais et les plus spirituels que j’aie entendus de ma vie, M. Dur qui sortait des chasseurs à cheval de la garde. C’est lui qui inventa la plupart des jolies histoires de M. de La Jobardière, que M. de Lourdoueix recueillit ensuite, et orna de ses dessins ; péché de sa jeunesse royaliste que la censure racheta plus tard.


J’arrivai à Brest, j’étais mourant. On me reçut à l’hôpital où je fus condamné par tous les médecins. Je puis dire que j’ai été mort, et je pourrais écrire l’histoire de cette lente agonie de l’esprit, plus cruelle que celle du corps. J’entendis, bien triste, M. Billard, dire au forçat infirmier qui me soignait : « Quand il sera mort, vous viendrez me prévenir. » Et je n’avais pas la force d’ouvrir les yeux, de soulever un doigt pour protester contre cet arrêt ! Et j’avais toute ma raison ! Oh ! ce supplice, le comprenez-vous ? c’est celui qu’endure l’individu qu’on a enterré vivant. François le forçat couvrit ma figure du drap fatal, que mon diligent docteur souleva promptement : quinze jours après, j’entrais en convalescence. À ma première sortie, j’allai rendre visite au préfet maritime, qui me reçut fort mal ; il se mit sur la hanche, et posant, lui, vieux serviteur de la république, en partisan dé-