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MŒURS DES AMÉRICAINS.

droits à être écouté sur tout ce qui touchait à la littérature et aux arts. Je ne saurais décrire l’air avec lequel il voulut bien condescendre à causer avec moi de quelques-uns de nos poètes : comme c’était la première fois que je rencontrais un Américain qui parlait littérature, je lui accordai toute mon attention. »


Nous ne citerons que quelques traits de cette conversation.


« Il n’avait, dit mistress Trollope, qu’une connaissance très-imparfaite de nos auteurs ; mais ses critiques étaient fort amusantes. Je lui parlai de Pope. « Il est si entièrement passé, me répondit-il, qu’il y a de la pédanterie chez nous à le nommer. »

« Au nom de Dryden, il sourit ; et ce sourire disait aussi clairement qu’un sourire peut dire quelque chose : « La bonne vieille femme ! elle radote ! » Cependant il eut la politesse de me répondre : « Nous ne connaissons Dryden que par des citations, madame, et encore ces citations ne se rencontrent-elles que dans des livres qu’on ne lit plus depuis long-temps. »

— Et Shakespeare, monsieur ?

— Shakespeare, madame, est un auteur obscène ; et, grâce à Dieu, nous sommes assez avancés pour l’estimer à sa juste valeur. Si nous tolérons encore les représentations théâtrales, au moins voulons-nous que le drame porte l’empreinte de la civilisation avancée de notre époque et de notre pays. »

« Un jour, dit ailleurs mistress Trollope, je me trouvais au milieu d’une société de dames parmi lesquelles étaient une ou deux jeunes filles ; leur curiosité l’emportant sur leur patriotisme, elles me faisaient une foule de questions sur l’étendue et les merveilles de Londres ; je m’efforçais de les satisfaire, en leur donnant d’aussi exactes descriptions que je pouvais, lorsque nous fûmes brusquement interrompus par une respectable dame qui s’écria ; « Taisez-vous, petites filles, et laissez là Londres. Si vous voulez savoir ce que c’est qu’une belle ville, allez à Philadelphie ; quand mistress Trollope y aura été, elle avouera elle-même qu’elle mérite mieux qu’on en parle, que cet informe amas de maisons sales et de rues poudreuses qu’on appelle Londres. »

« À deux reprises différentes, on déploya devant moi un atlas, afin de me convaincre, par mes propres yeux, combien mon pays était peu de chose. Jamais je n’oublierai la gravité avec laquelle la dernière fois, un digne gentilhomme tira de sa poche son porte-crayon gradué, et me démontra, par une opération d’arpentage, que toutes les possessions de l’empire britannique n’égalaient pas les États-Unis en étendue. J’oublie-