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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/193

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FÊTES DE LA JURA.

remit en marche. Je le suivis long-temps des yeux ; je le vis s’enfoncer lentement dans la large rue Mayor. Au-dessous de tant de lignes de fenêtres chargées de tentures aux couleurs éclatantes, la masse des drapeaux flottans des lanciers produisait un singulier effet de perspective : on eût dit que c’était un rang de balcons qui s’en allait.

Il y avait quinze jours, la procession del Corpus, — du saint Sacrement, — partant à la même heure de la même église, avait pris la même route. — Le 6 juin, c’était Dieu, — su majestad, sa majesté, — qui sortait de Santa-Maria, avec les croix, avec les cierges, avec les bannières, avec les prêtres des paroisses et les moines des couvens de Madrid. — Le 22, c’était le roi, — su majestad, sa majesté aussi, — avec ses étendards, avec ses troupes, avec ses livrées, avec sa cour. Et l’on rendait à la majesté royale les mêmes honneurs qu’à la majesté divine. — Pour la procession du roi, comme pour le cortège de Dieu, il y avait une haie de grenadiers provinciaux ; pour le cortège du roi, comme pour la procession de Dieu, tous les balcons étaient tendus et drapés de soie, de velours et de femmes parées ; les rues sablées, semées de fleurs, et encombrées d’une foule prosternée. — C’est que c’étaient bien les deux majestés, — ambas majestades, comme les appelle ce peuple qui les confond encore dans sa double religion, — qui met encore le roi d’Espagne à côté du roi des cieux ; — el rey de España, y el rey de los cielos. La nuit était venue, mais la ville, au défaut du jour, commençait à s’éclairer de la lumière des torches qui s’allumaient de tous côtés aux croisées.

J’avais laissé mes pas me conduire au hasard dans les rues. Plus je m’y avançais, plus je les trouvais brillantes et illuminées. Partout aux balcons ce n’étaient que draperies, transparens, dais somptueux, entourés de lustres et suspendus sur les portraits du roi et de la reine. La foule des curieux allait, venait, se croisait, se heurtait, s’arrêtait, s’attroupait, au point d’obstruer le passage devant les maisons qui se distinguaient par le plus grand luxe de vers de couleurs et d’allégories. Fatigué outre mesure, j’étais sorti à grand’peine de la cohue qui remplissait la place du palais du commissaire de la Cruzada, et je revenais par la rue de Tolède. — Comme je regardais du côté de la Plaza-Mayor, je vis entr’ouverte l’une des