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LA KOUTOUDJI.

gnard. Lorsque son oncle et l’Imam de la mosquée arrivèrent à leur tour avec leurs complimens emmiellés, il fut tenté de leur briser sur la tête le tchibouk de jasmin qu’un serviteur venait de lui présenter ; il se contint cependant, et les remercia tout haut des bons offices qu’ils lui avaient rendus ; il les pria de croire à sa reconnaissance et à tout le désir qu’il éprouvait de s’acquitter convenablement envers eux.

Baltadji-Méhémet conserva le même sang-froid et la même impassibilité pendant les deux mois qui suivirent la journée de son mariage ; et chaque soir il voyait l’Imam de la mosquée, accompagné de son oncle le hékim, apposer le scellé de la loi sur la porte de la belle Koutoudji.

Un soir qu’il était plus malheureux que de coutume, et que le tigre de la passion enfonçait plus avant ses terribles griffes dans son cœur, Méhémet se procura un outil qui sert aux charpentiers à percer les murs des maisons ; il l’emporta dans sa chambre et le cacha sous le chevet de son lit.

Quand son oncle et l’Imam se furent retirés, il s’approcha de la muraille qui le séparait de l’appartement de la Koutoudji, et, levant un coin de la tapisserie, il perça un trou dans le bois, avec toutes les précautions imaginables, afin de ne pas éveiller le moindre bruit. Son stratagème réussit au-delà même de ses espérances, car il n’eut pas plus tôt jeté un regard à travers cette fenêtre d’amour, qu’il aperçut en face de lui la délicieuse créature qu’on appelait sa femme, nonchalamment étendue sur un divan, dans ce léger et transparent costume de la nuit qui ressemble aux ailes flottantes des anges du ciel.

À l’aspect de tant de merveilles, Méhémet eut de la peine à contenir les élans de sa joie. Il ferma cependant la porte de l’admiration, et il refoula dans son cœur les paroles du ravissement, qui se pressaient en foule sur ses lèvres. Son émotion fut au comble quand il entendit cette bouche si pure et si harmonieuse murmurer des mots d’amour, lesquels s’adressaient sans doute aux esprits invisibles qui se promènent la nuit dans les airs, montés sur ces jolis coursiers verts et roses qu’on appelle les illusions. Combien la Koutoudji lui parut au-dessus des filles de la terre, lorsque son regard indiscret se fut heurté à tous les contours de ses