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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/301

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LITTÉRATURE ANGLAISE.

sans doute pas ce qu’il y a de plus sûr, mais je me mets à l’œuvre avec loyauté, avec la ferme résolution de dire seulement ce que j’ai senti, ce que je crois.

La littérature de notre île se partage en deux grandes ères ; on peut nommer l’une l’ère d’Élisabeth ; l’autre, l’ère georgienne[1]. Dans la première, l’esprit humain s’élance hors des ténèbres dont il fut long-temps enveloppé ; la lumière apparaît ; la découverte de l’imprimerie ouvre les sources des sciences sacrées et profanes. Puis arrive la seconde. Alors le génie littéraire subit l’influence de l’esprit d’investigation ; il revient de son essor vers les espaces imaginaires ; il se rit des anciennes croyances qui l’ont guidé, des rêves qui ont agi sur lui, et renonçant à son vol capricieux, le voilà qui se met à faire des études d’anatomie et de dissection, à discuter avec amertume sur la corruption du corps social et politique. Au temps où vivaient Spencer, Shakspeare[2], Milton, l’imagination parlait en souveraine, et, semblable à l’alouette, la poésie, planant dans une atmosphère supérieure, faisait entendre des chants plus suaves à mesure qu’elle s’élevait plus près du ciel. Au temps de Cowper, Burns,

  1. L’ère d’Élisabeth, à laquelle appartiennent Shakspeare et Bacon, fut suivie de l’époque puritaine, à laquelle appartiennent Milton pour l’épopée, et Butler pour la satire. Ensuite s’ouvrit l’époque d’imitation française, celle des Roscommon et des Etheredge, sous Charles ii. En se dégageant de quelques ridicules et en acquérant de l’énergie, la littérature anglaise subit, sous la reine Anne, une nouvelle transformation ; c’est dans cette époque que se placent Pope, Goldsmith et plusieurs autres. Enfin, la révolution française venant renverser cette école, crée la littérature anglaise du xixe siècle, à la tête de laquelle se placent Byron et Scott. Ainsi nous trouvons cinq nuances bien tranchées dans l’histoire de l’intelligence en Angleterre, depuis 1550 ; il nous semble difficile d’adopter la classification arbitraire de l’auteur.
  2. Au temps où vivait Shakspeare, l’inspiration était encore libre, catholique, facile, mêlée de souvenirs italiens et de croyances populaires. Au temps où vivait Milton, au contraire, l’inspiration était sévèrement et rigoureusement religieuse. On ne doit point confondre ces inspirations si diverses. Il n’est pas exact non plus d’associer les noms de Cowper et de Crabbe, de Cowper, poète élégiaque, qui chantait comme Oberman écrivait, et de Crabbe, peintre inexorable des vices populaires. Ce n’est pas qu’il n’y ait, selon moi, un point de vérité dans le système de l’auteur. À mesure que la civilisation a marché, elle a refroidi l’élan poétique, et cela devait être ; mais la ligne de démarcation qu’il a cru pouvoir indiquer entre l’époque d’analyse et l’époque d’imagination, nous semble factice et impossible à tracer avec exactitude.