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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/33

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AHASVÉRUS.

ma belle cavale noire. Je te baignerai tout un jour, jusqu’à ta croupe haletante, dans la source où boivent les étoiles.

LE ROI SIEGFROY.

Est-ce là le Walhalla ? Non, ce n’est pas là le Walhalla. Est-ce le frène des Ases qui verdoie sur le monde ? Est-ce le coursier des mers qui hennit sur sa vague avec les hommes des combats ? Et cette voix qui hurle, est-ce le corbeau qui prophétise sur l’épaule de Révil ? Louves attelées de vipères ; cornes magiques que le bouvier remplit pour enivrer les lèvres des héros ; rameaux des cerfs qui distillent les fleuves goutte à goutte ; runes gravés sur le tranchant de l’épée, sur le plat de la rame, sur le bord du bouclier, sur la proue du vaisseau, sur la roue du chariot, sur la pointe des nuages ; tout le ciel orageux de Révil, comment s’est-il changé sur ma tête en voûtes de rochers ? Pourquoi les valkyries ont-elles des lits de pierre ? Et pourquoi les nornes nébuleuses ont-elles mis à leurs reins des ceintures de granit ? Malheur ! malheur ! les dieux sont morts ; leur soir est arrivé. Chantons le chant des funérailles.

LE ROI ARTHUS, à sa cour.

Non pas, non pas, Lancelot, Tristan, Parceval, mes prud’hommes, ne dites pas que voici la forêt de Brocéliande. Depuis plus de cent ans, j’écoute l’oreille contre terre le cor enchanté de Clingsor. Depuis plus de cent ans, je n’ai pas entendu seulement le char d’une fée heurter de son essieu ma couronne. Pourquoi avons-nous laissé nos coupes à demi pleines sur notre table ronde ? Les nains de Bretagne, si nous étions restés chacun à notre place, nous les auraient remplies jusqu’à la fin du monde. Mais le Christ n’a rien à nous donner. Il n’a ni pain, ni vin, ni panetier, ni échanson, ni écuyer courtois. Regardez ! sa table est vide et creuse. Il n’y tient qu’un convive à la fois. Sa coupe n’est jamais pleine que des gouttes de pluie qui suintent des dalles, une à une, tous les ans.

L’EMPEREUR CHARLEMAGNE.

Arthus, parlez bas. Si vous faites un pas de plus sur mes dalles, avec vos éperons résonnans, ma barbe blanche, qui reluit, ma bulle impériale, mon pourpoint d’écarlate, mes douze pairs à mes côtés, mon cœur d’aigle des Alpes, mon sceptre à fleur de lis coupé dans une futaie de Roncevaux, s’en vont choir en poussière sur un pan de votre manteau royal ; et vous direz en se-