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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/404

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attaché à l’expédition dirigée contre Batavia, il périt, consumé à la fois par l’ardeur du climat, par celle de son tempérament et par des études trop assidues. Toutes les fois que Scott m’a parlé du jeune Leyden, sa voix devenait émue, sa paupière s’humectait[1].


Lamb. — On reproche à la critique de refroidir et de décourager la verve des poètes. Si quelqu’un peut se plaindre d’elle, c’est bien Charles Lamb, que la Revue d’Édimbourg a traité avec une extrême dureté. Il avait publié quelques poésies dont les critiques écossais donnèrent au public l’idée la plus défavorable. Alors, abandonnant le Parnasse, Lamb s’est condamné à la prose, et ses essais, publiés sous le nom d’Elia, lui ont valu une réputation durable[2]. Comme poète, il a imité le style énergique et suranné des contemporains de la reine Élisabeth. On peut lui reprocher peu d’élévation et de poésie idéale ; mais

  1. Leyden a laissé une faible trace dans la poésie anglaise. On a déploré sa perte prématurée et les espérances détruites d’un beau talent desséché dans sa fleur.

    De toutes les parties qui constituent le génie poétique, une seule, la mélodie musicale, la beauté des sons, le charme de l’oreille, appartenait à Leyden, lorsqu’il mourut.

  2. Lamb ne peut se classer au nombre des poètes. Parmi les écrivains anglais, il n’en est peut-être pas un seul qui n’ait essayé de presser, comme dit Montaigne, la sentence aux pieds nombreux de la poésie. Lamb a donc fait des vers comme tout le monde en fait ; mais le vrai caractère poétique manque à Charles Lamb, dont les essais en ce genre furent assez malheureux pour justifier la sévérité des critiques. La Revue d’Édimbourg avait-elle si grand tort de dire à lord Byron que ses imitations d’Ossian manquaient de nouveauté ; à Wordsworth, que son Âne perdu ne comportait pas une solennité de ton aussi majestueuse ; à Walter Scott, que son vers de huit pieds, si facile à construire, l’entraînait à une diffusion et une redondance malheureuse de paroles inutiles ; à Charles Lamb, que sa poésie, copiée sur le type du xvie siècle, manquait d’actualité et d’abandon ? Cette puissance et cette rigueur d’examen accompagnent toujours et encouragent, au lieu de le rabaisser, l’essor des littératures vraiment fortes.

    Lamb est, comme prosateur, l’écrivain le plus original de cette époque. C’est de la simplicité dans la profondeur, de l’originalité dans la naïveté ; quelque chose de Montaigne et de Sterne, de Labruyère et d’Addisson ; un mélange de qualités et de nuances dont l’effet est à la fois piquant, pathétique et nouveau. Il écrit peu, et chacun de ses Essais est le résultat d’une sensibilité originale, vive, mêlée à un travail de style d’autant plus admirable qu’il est simple.