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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/417

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LITTÉRATURE ANGLAISE.


quand lord Byron leur annonça l’intention d’épouser une riche héritière dont la naissance était haute et la réputation intacte. Ils croyaient que cette imagination fougueuse se calmerait, que ce vaisseau long-temps battu de l’orage trouverait enfin un port assuré. Le résultat de cette union ne fut pas heureux. Marié, il cessa d’être poète ; sa Muse se tut, ses créanciers parlèrent plus haut que jamais ; trois fois les vampires subalternes, les bourreaux myrmidons de la loi, les huissiers, qui s’embarrassent fort peu du génie, même de la vertu, pourvu que leurs frais soient payés, et qu’ils vivent de la misère qu’ils aggravent, vinrent saisir et vendre dans sa maison. Orgueilleux, blessé, malheureux de ne pouvoir tirer aucune vengeance de ces outrages vulgaires, qu’il regardait comme un déshonneur, il vit le sanctuaire de ses études profané, sa paix domestique troublée. Dans le même moment, sa femme l’abandonna, sous prétexte de se rendre dans sa famille. Le monde, toujours prêt à punir l’homme de talent de sa supériorité, à écraser l’homme célèbre, à crier haro sur l’imprudence et le malheur, l’assaillit de tous côtés, et le força, désespéré, furieux, de quitter le sol qui lui avait donné naissance, et qui aujourd’hui hérite de sa gloire.

Depuis cette époque, il suivit une route ardente, bizarre, irrégulière. Il termina d’abord Childe-Harold, et écrivit Mazeppa. Son Don Juan, extraordinaire création, vint alarmer la conscience des gens scrupuleux et la moralité des hommes sévères. Deux anges, l’ange de ténèbres et l’ange de lumière, semblent avoir présidé à la conception du poème ; ajoutons que l’ange céleste n’est guère que pour une dixième ou onzième partie de l’œuvre. C’est dans Don Juan que se trouvent les inspirations les plus sombres et les plus brillantes à la fois de cet étrange poète. Le monde sait comment il essaya de ranimer le feu de la liberté en Italie, et comment, s’emparant du casque et de la lance spartiates, il vogua vers la Grèce, dont il espérait ressusciter le libre génie. On n’ignore pas ses efforts persévérans pour faire revivre l’héroïsme antique parmi les hordes de la Grèce, ni sa mort glorieuse à Missolonghi, et son enterrement à Newstead, après que les dignitaires de l’église anglicane eurent fermé à son cadavre les portes de l’église de Westminster.

La poésie de lord Byron est extrêmement hardie de conception ; le langage en est puissant et facile ; il jette sur la nature un coup-d’œil original. Il ne veut ni sentir, ni penser comme autrui. Les personnages qu’il met en scène sont extraordinaires ; ses méditations sur le présent et l’avenir, répan-

    dans la situation la plus propre à lui montrer les hommes dans toute la nudité de leur égoïsme.