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leur pique et leur lanterne en main, étaient traversées par tant de groupes bruyans ? — Où allaient toutes ces troupes de manolos et de manolas, marchant au son des flûtes et des mandolines, chantant en chœur le panto de la Havana et la jota aragonaise ? — Tout cela se dirigeait vers un seul point, tout cela prenait le même chemin des divers quartiers de la ville, tout cela descendait au Prado.

Mais quelle nouvelle fête se donnait donc encore au Prado, pour que ces bandes joyeuses y affluassent ainsi à une heure inaccoutumée ? — On n’y voyait nuls préparatifs de réjouissances. Les arceaux gothiques dont l’enceinte immense de son salon avait été entourée pour les solennités de la Jura, n’étaient plus, comme la veille, brillamment parés de leurs guirlandes de verres de couleur. Ce Prado qui, la nuit précédente, était éclairé comme en plein jour, il était sombre maintenant, et n’avait plus d’autre illumination que les étoiles du ciel.

Ce n’était pas non plus la foule de la veille qui s’y pressait ; — cette foule étrange et de mille couleurs, — bigarrée de moines, de soldats, de mendians, de femmes élégantes, de livrées, de chambellans, de gens de cour et d’officiers coquets ; — non, c’était une autre foule, — une foule d’une seule classe et d’une seule espèce, — une foule en veste et en mantille de serge, à la voix éclatante, au langage cynique, aux gestes effrontés. —

Cette foule enveloppée de ténèbres, ainsi qu’une crue soudaine et mugissante, — de la porte des Recoletos à la porte d’Atocha, — elle débordait et montait partout ; elle envahissait le salon, — la promenade fashionable du beau monde ; — elle s’y asseyait sur les bancs et sur les chaises ; elle s’y couchait à terre et s’y roulait ; — elle encombrait les allées, elle se répandait sous les arbres, — sous les balcons des palais du duc de Medina-Celi et du duc de Villa-Hermosa, devant le Musée royal, sur les montées du Buen-Retiro et de San-Geronimo, tout le long de la grille du jardin de botanique, autour des fontaines d’Apollon, de Neptune et de Cybèle. Elle inondait tout ce Prado, enfin ; — et puis, formant de larges cercles et de vastes rondes, agitant ses castagnettes, elle dansait ses manchegas dans la poussière, au bourdonnement des guitares, au chant aigu des seguidillas.

C’est que c’était la nuit de la Saint-Jean ; — jadis, pour Madrid,