Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/526

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
522
REVUE DES DEUX MONDES.

tagnes, avec moins de soleil il est vrai, avec un horizon moins meublé de réalités et d’images, bien qu’avec autant d’air dans les cieux. À propos de son cours sur la Destinée humaine, où il semblait n’indiquer qu’à peine aux jeunes ames inquiètes un sentier religieux qu’on aurait voulu alors lui entendre nommer, on disait dans un article du Globe de décembre 1830 : « Comme un pasteur solitaire, mélancoliquement amoureux du désert et de la nuit, il demeure immobile et debout sur son tertre sans verdure ; mais du geste et de la voix il pousse le troupeau qui se presse à ses pieds et qui a besoin d’abri, il le pousse à tout hasard au bercail, du seul côté où il peut y en avoir un. »

Le propre de M. Jouffroy, c’est bien de tout voir de la montagne ; s’il envisage l’histoire, s’il décrit géographiquement les lieux, c’est par masses et formes générales, sans scrupule des détails, et avec une sorte de vérité ou d’illusion toujours majestueuse. « Les évènemens, a-t-il dit quelque part, sont si absolument déterminés par les idées, et les idées se succèdent et s’enchaînent d’une manière si fatale, que la seule chose dont le philosophe puisse être tenté, c’est de se croiser les bras et de regarder s’accomplir des révolutions auxquelles les hommes peuvent si peu. » Voilà tout entier dans cet aveu notre philosophe-pasteur : voir, regarder, assister, comprendre, expliquer. Aussi, cette promenade sur la Dôle est-elle une merveilleuse figure de la destinée de M. Jouffroy. Chacun, en se souvenant bien, chacun a eu de la sorte son Sinaï dans sa jeunesse, sa mystérieuse montagne où la destinée s’est comme offerte aux yeux, mieux éclairée seulement qu’elle ne le sera jamais depuis. Nul ne le sait que nous ; et ce que le monde admire ensuite de nos œuvres, n’est guère que le reflet affaibli et l’ombre d’un sublime moment envolé.

Dans cette ascension de la Dôle, j’ai oublié, pour compléter la scène, de dire qu’outre les deux amis et le pâtre, il y avait là un vieux capitaine de leur connaissance, redevenu campagnard, révolutionnaire de vieille souche et grand lecteur de Voltaire. Comme il redescendait le premier dans le sentier indiqué, et qu’il voyait les deux amis avoir peine à se détacher du sommet et se retourner encore, il les gourmandait de leur lenteur, en criant : « Quand on a vu, on a vu. » Ce capitaine voltairien, près du pâtre, dut paraître