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COMMENT JE DEVINS AUTEUR DRAMATIQUE.

nisme admirable ils mettaient en jeu les nerfs et les muscles, et je reconnus avec quel artifice ils modelaient ces chairs différentes, destinées à couvrir des ossemens qui sont tous les mêmes.

Car ce sont les hommes, et non pas l’homme qui invente ; chacun arrive à son tour et à son heure, s’empare des choses connues de ses pères, les met en œuvre par des combinaisons nouvelles, puis meurt après avoir ajouté quelques parcelles à la somme des connaissances humaines, qu’il lègue à ses fils ; une étoile à la voie lactée. Quant à la création complète d’une chose, je la crois impossible. Dieu lui-même, lorsqu’il créa l’homme, ne put ou n’osa point l’inventer : il le fit à son image.

C’est ce qui faisait dire à Shakspeare, lorsqu’un critique stupide l’accusait d’avoir pris parfois une scène tout entière dans quelque auteur contemporain :

« C’est une fille que j’ai tirée de la mauvaise société pour la faire entrer dans la bonne. »

C’est ce qui faisait répondre plus naïvement encore à Molière, lorsqu’on lui adressait le même reproche :

« Je prends mon bien où je le trouve. »

Et Shakspeare et Molière avaient raison, car l’homme de génie ne vole pas, il conquiert ; il fait de la province qu’il prend une annexe de son empire : il lui impose ses lois, il la peuple de ses sujets, il étend son sceptre d’or sur elle, et nul n’ose lui dire en voyant son beau royaume : « Cette parcelle de terre ne fait point partie de ton patrimoine. » Sous Napoléon, la Belgique était France ; la Belgique est aujourd’hui un état séparé : Léopold en est-il plus grand, ou Napoléon plus petit ?

Je me trouve entraîné à dire ces choses, parce que, génie à part, on me fait aujourd’hui la même guerre que l’on faisait à Shakspeare et à Molière ; parce qu’on en vient à me reprocher jusqu’à mes longues et persévérantes études ; parce que, loin de me savoir gré d’avoir fait connaître à notre public des beautés scéniques inconnues, on me les marque du doigt comme des vols, on me les signale comme des plagiats. Il est vrai, pour me consoler, que j’ai du moins cette ressemblance avec Shakspeare et Molière, que ceux qui les ont attaqués, étaient si obscurs, qu’aucune mémoire n’a conservé leur nom. Cela vient de ce qu’un homme d’art,