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locution inattendue ; son parti était pris et il se croyait sûr de la victoire. Sans répondre un seul mot, il passa outre, et bientôt il perdit de vue les portes et les murs de la ville où sa femme et ses trois enfans restaient pour attendre son retour.

Le passage de Sighebert à travers le royaume qui allait lui appartenir par élection fut comme un triomphe anticipé. Les habitans gaulois et le clergé des villes venaient processionnellement à sa rencontre ; les Franks montaient à cheval pour se joindre à son cortège. Partout les acclamations retentissaient en langue tudesque et en langue romaine[1]. Des bords de la Seine à ceux de la Somme, les Gallo-Romains étaient, quant au nombre, la population dominante ; mais à partir de ce dernier fleuve vers le nord, une teinte germanique de plus en plus forte commençait à se montrer. Plus on avançait, plus les hommes de race franke devenaient nombreux parmi la masse indigène ; ils ne formaient pas simplement, comme dans des provinces centrales de la Gaule, de petites bandes de guerriers oisifs, cantonnées de loin en loin ; ils vivaient à l’état de tribu et en colonies agricoles, au bord des marécages et des forêts de la province belgique. Vitry, près de Douai, se trouvait, pour ainsi dire, sur la limite de ces deux régions ; les Franks du nord, cultivateurs et fermiers, et les Franks du sud, vassaux militaires, purent aisément s’y réunir pour l’inauguration du nouveau roi. Parmi les grands propriétaires et les chefs du royaume de Neustrie, un seul, nommé Ansoald, ne se trouva pas au rendez-vous ; son absence fut remarquée, et lui fit dans la suite un grand renom de fidélité au malheur[2].

La cérémonie eut lieu dans une plaine bordée par les tentes et les baraques de ceux qui, n’ayant pu se loger dans les bâtimens du domaine de Vitry, étaient contraints de bivouaquer en plein champ. Les Franks en armes formèrent un vaste cercle au milieu duquel se plaça le roi Sighebert, entouré de ses officiers et des seigneurs

  1. Hìnc cui barbaries, illìnc romalia plaudit,
    Diversis linguis laus sonat una viri.

    Fortunati pictav. episc. carmen de Chariberto rege. Apud Bibl. patrum, t. 10, p. 560.

  2. Omnes Neustrasiæ ad eum venientes se suæ ditioni subjecerunt. Ansvaldus tautùm cumn Chilperico remansit. Fredegarii hist. Francor. epitomata, pag. 407.