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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/680

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REVUE DES DEUX MONDES.

Jugeant sa position presque désespérée, le roi attendait l’évènement dans une sorte d’impassibilité ; mais la reine, moins lente d’esprit, s’ingéniait de mille manières, faisait des projets d’évasion, et observait autour d’elle pour épier la moindre lueur d’espérance. Parmi les hommes qui étaient venus à Tournai partager la fortune de leur prince, elle en remarqua deux dont le visage ou les discours indiquaient un sentiment profond de sympathie et de dévouement : c’étaient deux jeunes gens nés au pays de Terouanne, Franks d’origine, et disposés par caractère à ce fanatisme de loyauté qui fut le point d’honneur des vassaux du moyen âge. Fredegonde mit en usage, pour gagner l’esprit de ces hommes, toute son adresse et tous les prestiges de son rang : elle les fit venir auprès d’elle, leur parla de ses malheurs et de son peu d’espoir, leur monta la tête avec des boissons enivrantes ; et quand elle crut les avoir en quelque sorte fascinés, elle leur parla d’aller à Vitry assassiner le roi Sighebert. Les jeunes soldats promirent de faire tout ce que la reine leur commanderait ; et alors elle donna de sa propre main à chacun d’eux un long couteau à gaîne, ou, comme disaient les Franks, un skramasax, dont elle avait, par surcroît de précautions, empoisonné la lame. « Allez, leur dit-elle, et si vous revenez vivans, je vous comblerai d’honneurs, vous et votre postérité ; si vous succombez, je distribuerai pour vous des aumônes à tous les lieux saints[1]. »

Les deux jeunes gens sortirent de Tournai, et se donnant pour des déserteurs, ils traversèrent les lignes des Austrasiens et prirent la route qui conduisait au domaine royal de Vitry. Quand ils y arrivèrent, toutes les salles retentissaient encore de la joie des

    potuisset, objurgata à rege, eum baptizari præcepit. Qui baptizatus, et ab ipso episcopo susceptus… Greg. Turon., lib. V, pag. 249. — Adriani Valesii Rerum francic., tom. II, lib. IX, pag. 60.

  1. Tunc duo pueri cum cultris validis, quos vulgò scramasaxos votant, infectis veneno, maleficati à Fredegunde regina… Greg. Turon., lib. IV, pag. 230. — Tunc Fredegundis memor artium suarum inebriavit duos pueros tarwannenses, dixitque eis : Ite ad cuneum Sigiberti eumque interficite. Si evaderitis vivi, ego mirificè honorabo vos et sobolem vestram, si autem corrueritis, ego pro vobis eleemosynas multas per loca sanctorum distribuam. Gesta regum francor., apud script. Rerum francic., tom. II, pag. 562.