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dans une basse condition, et se fit sentir l’absence des hautes vues et des larges conceptions que le génie seul conserve et nourrit au milieu des embarras d’une vie étroite. Une fois installé dans la haute et vaste sphère où l’avaient porté sa ruse et sa patience, M. Villèle ne se trouva rien de plus que cette patience et cette ruse pour s’y maintenir. Où le génie d’un Napoléon n’eût pas suffi pour diriger vers un noble but cette sève de liberté qui animait toute la jeune génération, et contenir cet amour furieux du despotisme qui éclatait parmi les fougueux vieillards de la monarchie, n’apparut qu’un Mazarin, spirituel aussi, gai, roué, habile, dont l’esprit fin et conciliant eût certainement terminé la Fronde et fait face aux grandes intrigues et aux petites émeutes de cette joyeuse époque, mais qui n’était pas de taille à dominer les violentes passions qui luttaient alors. On a dit de M. Villèle que ce fut un grand ministre ; M. Villèle n’a été qu’un grand homme d’affaires. On s’est fondé, pour louer son ministère, sur la prospérité du pays. L’Angleterre prospéra aussi sous Walpole ; mais avec toute cette prospérité, si Chatam n’était venu la régénérer, elle périssait de gangrène. Pour la France, elle est encore dévorée, à cette heure, par la lèpre dont le ministère de M. Villèle l’a couverte.

La destinée politique de M. Villèle était déjà assurée, quand son nom fut prononcé pour la première fois en public et dans les alentours du trône. À peine connu dans son département par une brochure contre le projet de la charte, encore moins connu hors des limites de la Garonne par sa nomination à la mairie de Toulouse, siégeant depuis peu de temps à la chambre, il s’était déjà créé le centre d’une foule de petites intrigues, et s’était fait la base d’un grand nombre d’espérances. Déjà aussi M. Corbière s’était attaché à sa fortune. M. Corbière était, ainsi que M. Villèle, un de ces bourgeois déliés, qui avaient uni leur sort aux intérêts aristocratiques de la restauration, et qui n’ayant perdu, par la révolution, ni titres, ni terres, ni fortune, lui demandaient cependant avec aigreur toutes ces choses, en dédommagement de l’obscurité et de la nullité où ils avaient vécu jusqu’à leur âge mûr, pendant tout le temps où il fallait acheter sa noblesse et sa fortune, non par des intrigues et des faux-semblants de piété et de dévouement, mais par des fatigues sans nombre, de vrais services à la patrie, des