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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/216

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REVUE DES DEUX MONDES.

par Milman, sous le titre de Fazio, et revêtue des costumes français de notre temps. Pour le développement et l’analyse des caractères, ces conteurs italiens sont médiocres ou nuls ; leur richesse d’invention est immense et leur verve intarissable. Avec un recueil de contes, on se classait assez bien dans le monde littéraire.

Telle fut la civilisation au milieu de laquelle l’Arétin se trouva jeté. Aventurier, sans parens, sans famille, sans protecteur et sans instruction, il ne fit pas mal son chemin. Le sort ne lui avait donné qu’un esprit vif, des sens ardens, beaucoup d’audace, nulle éducation, un orgueil immense, et pas un écu de patrimoine ; il était paresseux, voluptueux et poltron. La culture des arts exige le dévouement et commande des sacrifices ; l’Église, même corrompue, veut quelque réserve extérieure. Pietro ne sera ni prêtre, ni artiste ; Mme Tita, sa mère, ne s’est pas mise en frais pour lui : « Moi, dit-il, je n’ai été à l’école que tout juste ce qu’il faut pour apprendre la croix de par Dieu[1] ! Ainsi qu’on me pardonne si j’écris comme un brigand ; je ne sais rien que… » Nous ne copierons pas ce que cet impudent savait faire. Qu’on le cherche dans la note[2].

Pietro, dans sa ville natale d’Arezzo, est donc un pauvre petit polisson, mal vêtu, fils de gueux, courant par la ville ; certain jour il lui prend envie de voir le monde ; il sort d’Arezzo et va jusqu’à Pérouse ; quelque monnaie volée à sa mère a dû lui faciliter la route ; là, il faut vivre. Le vagabond s’engage comme apprenti chez un relieur ; il avait treize ans ; jusqu’à dix-neuf, il demeura chez le relieur. Il paraît avoir très bien employé pour le plaisir ces années de sa jeunesse ; dans ses lettres, il regrette amèrement « les bons morceaux et les belles filles de Pérouse, jardin où la fleur de son âge s’est épanouie[3]. »

  1. Lettres, t. 1, 49.
  2. « Veramente io, che tanto andai a la scuola, quanto intesi la santa croce, fatemi bene imparare, componendo ladramente merito scusa ; e non quegli che lambiccano l’arte dei Greci, e dei Latini, tassando ogni punto, et imputando a ogni che, facendosi riputatione con l’avvertenza de l’acuto d’una vocale. Io non so nè ballar, nè cantare, ma ch… …r come un’ asenazzo. »
  3. Lettere, t. 2. f. 80.