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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/278

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REVUE DES DEUX MONDES.

les efforts de MM. de Saint-Cricq et d’Argout, j’ai dit aussi que M. Thiers les avait dépassés. Jamais, en effet, le système exclusif ou restrictif de la concurrence étrangère ne fut érigé en dogme, ou drapé du manteau de la science, avec plus d’assurance que dans l’exposé de motifs du projet de loi de douanes présenté par ce ministre. Avec ce talent clair, nerveux, rapide, qui lui est propre, M. Thiers a réchauffé de son style, a paré de ses couleurs, le régime des prohibitions et des restrictions ; il a cherché à lui donner un corps, à former un faisceau de ses argumens épuisés, à l’élever enfin à la dignité de la véritable science ; nouvelle opération de Pélias, et qui a consommé la fin du moribond un instant ranimé.


Si le principe de la science constituée par M. Thiers n’est ni progressif ni généreux, il est du moins d’une parfaite clarté ; c’est une bonne et simple déclaration de guerre industrielle. « Les nations ont un penchant irrésistible à faire des conquêtes industrielles les unes sur les autres. Pour y parvenir, elles prohibent ou renchérissent, au moyen d’un tarif, certains produits étrangers, afin de créer à leurs propres citoyens un avantage à les produire. C’est là un instinct universel. Les tarifs de douanes (c’est-à-dire les prohibitions et les restrictions) sont un instrument dont aucune nation n’a pu ni ne pourra se passer[1]. »

Tel est le principe, absolu, certes, s’il en fut, malgré l’horreur que les exposés de projets de lois sur les douanes professent, comme on sait, pour les principes absolus. Mais le ministre s’empresse de le modifier : « Cet instrument indispensable à toute nation, il en peut être fait un emploi bon ou mauvais. Employé comme représailles, il est funeste ; comme faveur, il est abusif ; comme encouragement à une industrie exotique, qui n’est pas importable, il est impuissant et inutile. Employé pour protéger un produit qui a chance de réussir, il est bon. » Voilà de l’assurance et de la netteté ; mais cette assurance, où est sa base ? mais cette netteté, ne serait-elle pas plutôt dans les termes que dans les idées ?

  1. Ceci est une erreur matérielle, La Suisse n’a pas de tarifs de douanes ; la Saxe n’avait que quelques droits d’octrois à Leipsig ; la Prusse n’a pas une seule prohibition ; nous l’avons vu plus haut.

    L’incroyable industrie de la Flandre dans les quatorzième et quinzième siècles était-elle le produit du système prohibitif ou restrictif ? Les 50,000 tisserands que l’on comptait à Louvain en 1382, les 200,000 que l’on comptait à Ypres en 1342, ceux de Gand qui, en 1380, sortirent en trois armées (Michelet, Histoire de France, t. ii, page 109), travaillaient-ils à l’abri d’une ligne de douanes ; et quand ils passèrent en Angleterre, y étaient-ils appelés, parce que l’Angleterre fesait son éducation industrielle au moyen des tarifs ?