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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/318

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REVUE DES DEUX MONDES.


Un autre type traditionnel de la même espèce, tout aussi honnête et plus pauvre s’il se peut, est dans cette race de mendians que l’on voyait alors accroupis dès le matin devant les chaussures crottées des passans, vivant de la pitié publique autant que de ces légers services, les pareils enfin du malheureux qui arracha cette exclamation à Molière : « Où la vertu va-t-elle se nicher ? »

Depuis Molière, les Savoyards se sont élevés d’un degré dans l’industrie. Pour eux, Paris n’est plus un hospice, c’est un atelier. La Savoie a toujours des mendians, exploitée comme elle est par une domination étrangère, par une noblesse hostile et par un clergé qui joint le métier d’espion à celui de collecteur d’impôts ; mais elle garde et nourrit ses misères. C’est sa jeunesse valide, le plus riche capital de ce pays, qui va fonder au dehors des colonies d’où refluent, avec le temps, comme des alluvions successives de numéraire, d’expérience et d’instruction.

Quand ils sortent de leurs montagnes, la plupart savent maintenant lire et écrire ; quelques-uns peuvent compter autrement que sur leurs doigts. Avec cette première instruction, leur ambition s’est aussi étendue. Ils ne partent ni pour une saison, comme les maçons qui viennent du Limousin ou de la Marche, ni comme les enfans de l’Auvergne, pour une année. Ce n’est pas davantage pour le mince intérêt d’ajouter quelques écus aux épargnes de la famille, d’arrondir un champ ou un troupeau. Le jeune homme, en quittant son village, a devant les yeux la figure qu’il doit faire au retour. Que lui importe le temps, et qu’est-ce que la peine, s’il revient assez riche pour étonner ceux qui l’auront vu partir, un bâton à la main, et pour que la chronique de sa commune le proclame un des gros du pays ? La distance les effraie peu ; un vrai Savoyard va partout où il trouve de l’argent à gagner. Cette population de quelques milliers de feux a porté des détachemens à Londres, à Vienne, à Turin, à Lyon, à Paris. Soit communauté de langue et affinité de mœurs, soit aussi que la liberté de nos institutions leur paraisse protectrice du travail, c’est vers la France que s’écoule la masse des émigrans. Sur cinq mille jeunes gens qui abandonnent chaque année leurs foyers, il nous en arrive quatre mille cinq cents de tout métier.

À Lyon, les arts de luxe les attirent ; ils s’enrôlent parmi les ou-