Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
LETTRE SUR LA PALESTINE.

l’humanité bien des mécomptes, bien des misères. Pénétré de cette pensée, je prêtais pieusement l’oreille à chaque mot que leur bouche prononçait ; il me semblait toujours que ces vieux voyageurs de la vie allaient m’enseigner des choses inconnues.

Les deux vieillards marchent appuyés sur un bâton, mais ne paraissent pas trop affaissés par les ans ; ils ont perdu jusqu’au dernier reste de leur chevelure, et un poète arabe, en voyant ces têtes ainsi nues et dépouillées, les eût comparées à un champ sans verdure, à un mont sans ombrage. Après quelques généralités sur les musulmans et sur les Francs, nous avons parlé de Gaza ; ils m’ont dit qu’anciennement la cité avait quatre lieues d’étendue ; que, du côté de l’est, elle allait jusqu’au village de Der-Esner dont je vous ai parlé plus haut, et, du côté de l’ouest, jusqu’à Der-Balla, gros village à deux heures de Gaza, à un quart d’heure de la mer. Quoi qu’en disent mes vieillards, la ville n’a jamais pu s’étendre aussi loin du côté de l’orient, et vous ne trouveriez pas une seule ruine, une seule trace d’édifice depuis Gaza jusqu’à Der-Esner ; mais il est certain que Gaza se rapprochait plus de la mer autrefois qu’aujourd’hui ; Strabon place la cité à sept stades environ de la côte ; elle en est éloignée maintenant de deux lieues. Les deux vieillards m’ont demandé si les hommes vivaient long-temps en Europe : « En Occident comme en Orient, comme dans toutes les régions de la terre, leur ai-je répondu, l’ange de la mort efface un nom du livre des vivans sans s’informer de l’âge ; toutefois je dois dire à votre gloire qu’on rencontre moins de vieillards en Europe que dans les contrées asiatiques ; chez nous, c’est une merveille de trouver un homme qui ait vécu un siècle ; mes courses dans l’Asie-Mineure et dans la Palestine m’ont fait voir plusieurs hommes qui comptaient cinq fois vingt ans, et un grand nombre d’une vieillesse déjà avancée. Vous, hommes d’Orient, vous vivez plus long-temps que nous, parce que votre vie est plus calme, plus simple, plus régulière que la nôtre ; en Europe, surtout dans nos grandes cités, l’intempérance, l’ardent et rapide mouvement des affaires, usent de bonne heure l’existence et en abrègent la durée ; de plus, au milieu de notre génération nouvelle, il souffle un vent brûlant qui dessèche avant le temps les sources de la vie, et nous avons chez nous aujourd’hui des vieillards de trente ans. » Mes vieux Arabes