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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/335

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REVUE LITTÉRAIRE.

société et dans notre littérature, où nous sommes coupables de ne l’avoir point vue ; peut-être notre raison a-t-elle tort contre la nature ; peut-être la critique est-elle responsable des discussions extérieures de l’art et du blâme que les étrangers jettent violemment sur nous.

Nous croyons bien que le procédé qui a engendré les œuvres d’art de notre temps diffère en des points capitaux de la méthode poétique du dernier siècle ; nous mettons au travail moins de raison, moins de volonté, plus de fatalité aveugle, plus de fantaisie indépendante que les poètes encyclopédistes. Chacun de nous s’enferme dans son orgueilleuse rêverie et dans la contemplation de sa personnalité. Nous tenons notre muse secrète et mystérieuse ; nous craignons que les regards des passans ne la souillent, et que la jalousie de nos amis ne la dérobe ; nous nous abstenons d’admettre qui que ce soit en sa familiarité. Nous ne voudrions pas non plus discipliner notre muse, de peur qu’elle ne perdît à cette contrainte l’ardeur et l’emportement de ses caresses. Nous ne pourrions consentir à faire de cette muse hautaine le soldat de quelque armée allant au loin, ni la réduire à mériter par de longs sacrifices une grande victoire. — Sans doute aussi nous avons moins d’ennemis à vaincre que n’en avaient nos pères, puisque nous ne sentons pas, comme eux, l’aiguillon du devoir commun.

Mais enfin nous vivons tous sous l’empire de mêmes évènemens et sous la loi de la même civilisation. L’esprit du siècle présent est aussi universellement pénétrant qu’aucun autre. Murez-vous bien dans votre égoïsme et dans votre vanité ; le vent des orages qui grondent n’épargnera pas votre solitude ; il ébranlera votre porte ; il s’acharnera sur toutes les ouvertures de votre retraite ; il s’insinuera par des fissures imperceptibles ; il ira remuer sous vos pieds la cendre de votre foyer ; il ennuiera vos oreilles, et vous ne pourrez éviter l’éclair jaillissant des nuages qu’il a entassés dans le ciel. Toutes les passions de votre ame livreront aux fatalités sociales les issues que votre intelligence croit avoir fermées. Et on lira l’histoire du siècle aussi bien dans vos effrois qu’on pourrait le faire dans votre enthousiasme.

Quelle doit donc être la préoccupation première de la critique de notre temps ? C’est de soulever les voiles particuliers qui dérobent l’unité de la vie actuelle ; c’est de dégager dans toute cette foule de conviés, sous tous leurs costumes originaux, sous tous leurs masques, dans toutes leurs allures diverses, le sentiment général qu’ils portent au cœur ; c’est de montrer notre époque, non pas désunie, brisée, prostituée au hasard et à la mode, mais usant de mille moyens pour une même action, et composant le faisceau de sa puissance d’une infinie variété d’attributs. Si les nations