Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
338
REVUE DES DEUX MONDES.

laisse aller à un dernier criticisme, vif, impétueux ; il se glisse à travers tous les détails de la société actuelle avec franchise ; il en rassemble les antithèses, et établit rapidement le duel universel de vérité et de mensonge où nous sommes engagés. La guerre, la justice, l’histoire, les arts, la raison, la foi, les institutions sociales et domestiques, les mœurs, l’éducation, les partis, lui offrent un mélange semblable de bien et de mal. Ce sceptique a deux miroirs, où les choses prennent deux apparences différentes ; il poursuit les antinomies de l’ordre présent. Les contradictions proverbiales, les incertitudes les plus vulgaires empruntent une certaine force au cadre où elles sont ainsi entassées. La vérité de ce doute est dans l’époque actuelle. Nous ne pouvons que louer beaucoup la solution à laquelle il aboutit ; mais nous eussions désiré qu’il y fût amené par des transitions plus élevées selon la raison et selon le cœur.


Toute cette révolte de la pensée que le génie propage, acquiert encore une valeur plus significative par la coïncidence des défis que portent chaque jour à la réalité des ambitions plus modestes. Pendant que de nouvelles généralités outrepassent la métaphysique ancienne, il est aussi des souffrances particulières qui transgressent la sociabilité reconnue. La tête et le bras de l’époque présente ne peuvent avoir tort ensemble, sans que ce soit une justification de leur violence.


Hippolyte Raynal[1] était si peu né pour le crime, que la pénétration de Béranger et une prévoyance plus auguste n’ont pas craint de le secourir. Et cependant le malheureux poète a été conduit deux fois sur le banc fatal pour y être deux fois convaincu de son impuissance à rester en deçà des limites de la législation pénale. Venu ainsi jusqu’à l’âge de trente ans, sans connaître le talent qui pouvait le soustraire aux mauvais conseils de la faim, ce jeune homme vous raconte la fatalité de ses misères avec une naïveté qui force au pardon. « En revoyant l’empreinte de mes petits pieds nus, dit-il, je ne puis m’empêcher de m’attendrir en songeant que ce n’était point au mal qu’ils allaient, et que c’est là qu’ils ont été contraints d’arriver ! »

Aussi, lorsque la gendarmerie le saisit, dormant dans la forêt de Chantilly, il demande à la loi, qui n’a rien pu pour son bien-être, pourquoi elle le punit d’un dénûment qui prouve son respect pour elle. Et puis quand la loi l’a frappé et traité inhumainement, il s’écrie : « Il y aura

  1. Malheur et poésie, 1 vol. in-8o ; Paris, Perrotin.