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diment dans la poussière, comme elle eût cherché un tison dans les cendres. Et grâces lui soient rendues ; car son courage n’a pas été inutile : elle nous a montré une Margarita qui n’est pas celle de Byron, mais qui à coup sûr n’est pas non plus celle de M. Ancelot. Elle ne pouvait nous rendre ce bel animal indomptable, naïf dans son effronterie, amoureux avec fureur, aussi prompt aux larmes qu’à la colère ; elle ne pouvait, sans folie, greffer sur les phrases pastorales du futur académicien les joyeuses pantalonnades de Margarita. Il fallait renoncer à ces mots si simples et si vrais, qui posent un caractère, et lui impriment le sceau ineffaçable de l’originalité.

Ici rien de pareil ne se pouvait, tenter. Talma pouvait relire Tacite pour agrandir et compléter Racine ; mais relire Byron pour compléter M. Ancelot, fallait-il y penser ?

Sans doute Mme Dorval a jeté sur le portrait de la réelle Margarita un regard de convoitise et de regret, sans doute elle s’est apitoyée sur la tâche qu’elle avait entreprise ; mais elle a bien fait de ne pas désespérer. Elle a composé un personnage qui lui appartient tout entier ; et, quel que soit le sort réservé à cette création, cette étude n’aura pas été sans profit pour elle. Elle aura recueilli dans la méditation un enseignement lumineux, une leçon austère : l’acteur en présence du poète doit tenter de monter jusqu’à lui. Quand il est seul, et que sa pensée déborde les paroles confiées à sa mémoire, il faut qu’il oublie pour inventer.

Ainsi faisant, Mme Dorval a créé trois sentimens distincts ; elle a inscrit dans son regard et son geste la crédulité, la jalousie et la résignation. Si elle s’en fût tenue à la lettre de son rôle, elle n’aurait pas dépassé la portée de Florian ou de Marmontel, elle aurait, pendant deux heures, alterné entre l’idylle et l’opéra-comique ; par sa volonté persévérante, elle a gravi jusqu’à la tragédie.

Au premier acte, elle est amoureuse de Byron. Aveugle et confiante, elle ne cherche pas à deviner le rang de son amant ; elle l’a vu, elle l’a écouté, elle l’a aimé ; elle se dévoue, elle espère, elle est heureuse. Pourquoi s’inquiéter de l’avenir ? pourquoi demander au ciel quel sera le lendemain ? Il faut croire pour aimer ; il n’y a que les coquettes qui se défient, les cœurs excellens s’abandonnent : sûrs d’eux-mêmes, comment douteraient-ils des autres ?