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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/445

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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

l’avait fait remarquer pour la première fois mais sans le tirer encore de la foule ; sa Physiologie du mariage lui avait acquis la réputation d’un homme d’esprit, observateur sans scrupules, un peu graveleusement expert sur une matière plus scabreuse que celle dont avait traité Brillat-Savarin. Mais c’est à partir de la Peau de Chagrin seulement que M. de Balzac est entré à pleine verve dans le public, et qu’il l’a, sinon conquis tout entier, du moins remué, sillonné en tous sens, étonné, émerveillé, choqué ou chatouillé en mille manières. Et il faut reconnaître que dans ce rapide succès, à part les coups de trompette du commencement, aux environs de la mise en vente de Peau de Chagrin, la presse parisienne n’a été que médiocrement l’auxiliaire de M. de Balzac ; qu’il s’est bien créé seul sa vogue et sa faveur auprès de beaucoup, à force d’activité, d’invention, et chaque nouvel ouvrage servant, pour ainsi dire, d’annonce et de renfort au précédent. M. de Balzac a surtout dès l’abord mis dans ses intérêts une moitié du public très essentielle à gagner, et il se l’est rendue complice en flattant avec art des fibres secrètement connues. « La femme est à M. de Balzac, a dit quelque part M. Janin, elle est à lui dans ses atours, dans son négligé, dans le plus menu de son intérieur ; il l’habille, la déshabille. » M. de Balzac, mettant en œuvre comme romancier et conteur, la science de sa Physiologie du mariage, s’est introduit auprès du sexe sur le pied d’un confident consolateur, d’un confesseur un peu médecin ; il sait beaucoup de choses des femmes, leurs secrets sensibles ou sensuels ; il leur pose en ses récits des questions hardies, familières, équivalentes à des privautés. C’est comme un docteur encore jeune qui a une entrée dans la ruelle et dans l’alcôve ; il a pris le droit de parler à demi-mot des mystérieux détails privés qui charment confusément les plus pudiques. Il a heureusement rencontré, pour s’insinuer avec ses contes et ses romans auprès de la femme, le moment où l’imagination de celle-ci était le plus éveillée, après l’émancipation de juillet, par les peintures et les promesses saint-simoniennes. Il y a eu évidemment, sous le coup de juillet 1830, quelque chose, en fait d’étiquette, qui s’est brisé et a disparu dans la condition de la femme. Rien n’a changé au fond sur ce point, mais l’attention y a été portée, et l’on a parlé plus crûment. Le saint-simonisme, M. de Balzac