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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/449

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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

nation d’aujourd’hui. Il lui fallut arriver à plus de trente ans pour découvrir, pour exploiter la mine fertile que son esprit enfermait à son insu, ses impressions d’enfance en Touraine, ses originaux de province, ses chanoines célibataires, son malin teinturier de Vouvray dans Gaudissart ; tout cela dormait je ne sais où auparavant. Lambert enfant s’était écrié un jour devant lui, en se frappant le front : « Je serai célèbre ! — Et toi aussi, avait-il ajouté vivement ; nous serons les alchimistes de la pensée ! » Ce mot de Lambert est comme la clé de M. de Balzac. Il me semble exactement en effet un magnétiseur, un alchimiste de la pensée, d’une science occulte, équivoque encore malgré ses preuves, d’un talent souvent prestigieux et séducteur, non moins souvent contestable ou illusoire. Comme les alchimistes, il a passé des années entières en tâtonnemens, à travers la fumée et la cendre, les sédimens et les scories, avant d’arriver à la transmutation tant désirée : aussi, quelle joie bien légitime et quelle ivresse étourdissante le jour où il vit dans le creuset son mercure se fixer en or !

De 1821 à 1829, époque où M. de Balzac commença de se faire remarquer par la publication du Dernier Chouan, qu’a-t-il tenté ? qu’a-t-il publié ? quels furent ses débuts littéraires, et les tâtonnemens multipliés et infructueux dont ses anciens amis nous parlent tant depuis qu’il est devenu célèbre ? M. de Balzac, dit-on, a chez lui une collection complète de tous ses premiers romans qui ne forment pas moins d’une trentaine de volumes ; il les conserve magnifiquement reliés, comme le berger ministre conservait dans un coffre précieux son hoqueton et sa houlette, et il les appelle ses études. Études ou non, défroque plus ou moins pastorale, il aurait tort d’en trop rougir, puisque c’est pour lui un subsistant témoignage de ce que peuvent la constance, le travail et une opiniâtre confiance aux ressources de sa propre imagination. Dans le temps d’ailleurs qu’il publiait ces productions de troisième ordre, productions peu authentiques, où il ne trempait souvent que comme collaborateur et auxquelles il n’attacha jamais son nom, M. de Balzac ne s’en exagérait pas la valeur, et trouvant un jour un de ses récens volumes aux mains d’un ami qui le lisait : « Ne lisez pas cela, lui dit-il ; j’ai bien dans la tête des romans que je crois bons, mais je ne sais quand ils pourront sortir. » Nous