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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/465

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LA DERNIÈRE CRISE MINISTÉRIELLE.

maintenir cette situation par le propre instinct de son pouvoir, mais encore l’Europe l’y poussait, car ce qu’on ne sait pas assez, c’est que l’Europe, depuis la mort de C. Périer, ne s’adressa jamais qu’au roi. Elle saluait la capacité que Louis-Philippe avait déployée depuis l’avènement à la couronne, cette conduite habile qui sut contenir l’esprit révolutionnaire en France ; et à tout prendre, les cabinets aimaient mieux traiter avec le roi des Français qu’avec ces ministres improvisés qu’on lâchait sans antécédens au milieu des relations politiques.

Dans ce morcellement du conseil, deux opinions plus profondément nuancées paraissaient dominer le cabinet, l’une et l’autre représentée par M. Guizot et par M. Thiers. Les importances individuelles disparaissaient devant cette grande division des hommes de la doctrine et des roués politiques. Ces deux opinions reposaient sur des bases dissemblables : l’une savante, éclairée, voulant dominer du sein des nuages, mais faisant tout pour arriver à ses fins, austère dans ses idées et dans sa vie publique, intrigante dans le petit intérieur, mais intrigante seulement dans ses vues de domination ; l’autre, souple, accommodante, se ployant aux circonstances, et en profitant avec une admirable dextérité, portant sur sa bannière : corruption de personnes, corruption de choses, et croyant par là dominer tout résultat politique.

Les hommes qui personnifiaient ces deux opinions, M. Guizot et M. Thiers, n’avaient entre eux aucune sympathie ; ils se détestaient, mais tous deux restaient pénétrés de cette conviction qu’ils exprimaient deux grandes nuances de la chambre ; qu’ils étaient des forces de tribune avec des talens divers, mais toutes deux également remarquées, toutes deux également nécessaires à la constitution et à la durée du cabinet. De là résultait le sentiment commun qu’ils ne pouvaient s’exclure l’un et l’autre ; leur but dès-lors fut de se créer dans le conseil, par l’adhésion de quelques-uns de leurs amis, ou par une position plus élevée, un plus grand crédit politique, et par conséquent d’arriver à la domination morale qui plus tard aurait éclaté en un pouvoir plus réel.

Dans cette position, la question de la présidence devait toujours être un objet de dissentiment entre les deux personnifications du ministère ; la présidence, en effet, c’était la domination du conseil, c’était le rôle de Casimir Périer que M. Guizot et M. Thiers avaient tôt ou tard l’ambition de se donner. Mais à l’occasion de cette question de présidence intervenait également un troisième intérêt, celui du roi : Louis-Philippe, ainsi que nous l’avons dit, fatigué du joug qu’il avait subi sous Casimir Périer, voulait arriver à la présidence personnelle, à la direction immédiate des affaires, surtout par rapport à l’Europe ; et pour en venir là, il