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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/508

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REVUE DES DEUX MONDES.

heurtaient l’œil et lui faisaient mal, tandis qu’au fond de son regard atone flottait je ne sais quelle férocité rusée. Tout en elle portait le cachet de cette race celtique abâtardie, chez laquelle les qualités primitives ont dégénéré en vices correspondans, et qui tient à la fois du Cafre et du Siaoux. Elle répondait rarement aux questions qu’on lui adressait. Mais qu’un seul mot de la chanson terrible arrivât jusqu’à son oreille, et, comme frappé d’une commotion galvanique, ce corps de pierre se levait, cette grossière statue devenait chair et souffrance. Elle jetait des cris, se tordait les bras, tournait sur elle-même, puis, tout à coup, comme prise d’un vertige, elle courait, se maudissant, appelant les enfans, fuyant pour être poursuivie, répétant les couplets accusateurs ; — et, à mesure que sa voix s’élevait, la chanson semblait la prendre plus fortement en sa possession ; on eût dit que le remords s’incarnait en elle, qu’il se formait, dans son être, deux êtres, dont l’un avait mission de torturer l’autre, et que sa conscience furieuse donnait la chasse à son ame !… Tous ses traits, tous ses gestes, exprimaient ce double rôle de vengeresse et de victime. Elle pleurait et rugissait, demandait grâce, et lançait des malédictions. C’était un spectacle tel qu’on n’en peut voir sans fermer les yeux : — la lutte du bourreau et du condamné sur le bord de l’échafaud !

§. iii.
Des différentes espèces de poésies chantées. — Cantiques. — Cantique sur l’enfer. — Un noël.

Les poèmes bretons à strophes, ou poèmes chantés, peuvent se diviser en cinq espèces différentes : les cantiques, les guerz, les chansons, les sônes, les poèmes proprement dits.

Nous allons examiner séparément chacun de ces genres.

Nous devons pourtant l’avouer, c’est avec une sorte d’embarras que nous commençons cet examen, et nous craignons bien qu’il ne puisse donner une juste idée des chants populaires que nous avons entrepris de faire apprécier. Ces poésies nationales, toutes d’attitude et de mouvement, supportent mal une sèche analyse. Nous aurions