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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/537

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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

dément. — Puis, il faut le dire, le lieu de l’exil ajoutait à sa douleur ; pour être des prêtres, ces hommes n’avaient pas cessé d’être Bretons. Ils n’avaient point perdu leurs préventions natales contre l’Angleterre, ils n’avaient point oublié que ce peuple, auquel ils venaient mendier l’hospitalité, était le même que, tout enfant, ils avaient appris à maudire ! — Car il faut avoir entendu prononcer ce mot d’Anglais sur nos grèves, pour comprendre quel bouillonnement de haine il éveille encore au cœur de nos Bretons. Un Anglais, pour eux, ce n’est pas un étranger, ce n’est pas même un ennemi ; c’est un Anglais ! — C’est cinq cents ans de pillage, de meurtres, de trahisons ; c’est le souvenir vivant des défaites navales de l’empire et des pontons de Portsmouth ; c’est la méchanceté et l’hérésie incarnée ; tout ce qu’il y a de plus mauvais et de plus détesté sur la terre, depuis que le démon n’y paraît plus. L’éducation, la charité évangélique, avaient bien pu adoucir, chez les prêtres bretons, cette détestation contre la nation maudite, mais non l’effacer entièrement. Ils souffrirent donc doublement sur la terre d’exil, car ils souffrirent dans leur affection et dans leur haine. Ce fut dans le but d’alléger le poids de ces maux de l’âme que les pauvres proscrits se recherchèrent entre eux et se réunirent pour se parler dans la langue de la patrie. L’ancien curé de Perros présidait à cette réunion, et ce fut avec lui, sous son inspiration, qu’ils composèrent le poème de la Révolution, dont nous allons parler. Ce poème est donc le cantique sacré de proscrits, c’est le super flumina Babylonis d’un nouveau peuple de Dieu, exilé sur un rivage étranger.

Voici le début.

« Quand donc, ô mon Dieu ! viendra le jour où je respirerai l’air de ma contrée, où je le reverrai, terre de France ?… Mon corps est loin de toi, mais, jour et nuit, ô France ! mon âme est sous ton ciel, avec le souvenir de tout ce que tu m’as fait souffrir !

« Trois ans déjà, trois ans entiers depuis que je suis venu sur cette terre des Anglais !… — Et le cœur qui désire beaucoup se lasse si vite d’attendre ! — Mais, hélas ! peut-être ai-je encore bien à souffrir, peut-être ne te reverrai-je jamais, ô mon pays !

« Assis sur un rocher, près des grèves de la mer, les larmes