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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/619

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LA DERNIÈRE CRISE MINISTÉRIELLE.

dégoût des membres qui y sont entrés sans conviction, mais par simple dévouement au roi, tels que le maréchal Mortier et l’amiral Duperré ; en second lieu, l’inévitable querelle des supériorités et des antipathies entre M. Thiers et M. Guizot : querelle actuellement assoupie, mais qui se réveillera par les mêmes causes qui déjà plusieurs fois l’ont ranimée.

Quand on entre dans un cabinet par conviction, par homogénéité de principes, par une communauté de sentimens, on y reste dans toutes les chances que subit le cabinet ; inhérent à lui, on tombe avec lui, parce qu’on vit d’une vie commune. Mais quand on se lie à un ministère par des conditions étrangères à ce ministère, quand l’adhésion qu’on donne à un cabinet est la suite de prières et de supplications, alors, et M. Guizot, qui est un esprit méditatif, doit le savoir, on s’en sépare au premier craquement, à la première occasion décisive qui compromet votre caractère. Ainsi s’est retiré le maréchal Gérard. Laissez venir une crise, laissez surgir une difficulté d’opinion, et vous verrez également le maréchal Mortier et M. Duperré se séparer violemment du cabinet qui n’est pas le leur. Le dévouement a des bornes ; quand le lieu commun n’est pas la sympathie politique, il se brise au premier accident, et alors que devient la composition actuelle du cabinet ?

Je connais trop bien le personnel de l’administration actuelle, pour ne pas dire qu’il n’y aura jamais là que deux hommes influens, M. Guizot et M. Thiers ; tout le reste tourne autour de ces deux pivots du ministère, M. Guizot et M. Thiers se sont serrés la main, c’est possible ; au besoin M. Thiers embrasserait celui-là qu’il voulait trahir il y a un mois ; mais tout cela n’empêchera pas que ces deux élémens ne travaillent, chacun de son côté, à la dissolution de l’unité ministérielle. M. Thiers est un roué politique, un homme à conscience large, peu estimé de la chambre, repoussé par l’opinion publique ; M. Guizot le sait. M. Guizot est antipathique par sa morgue doctorale, par ses manières, ses formes et ses liaisons politiques, à une grande majorité de la chambre ; M. Thiers le sait aussi ; il sait également que, s’il en débarrassait le cabinet, il y aurait facilité de se rapprocher d’une majorité forte et compacte dans la chambre. Eh bien ! dans cette situation réciproque, tous deux agissant auprès d’amitiés diverses, tous deux antipathiques, de mœurs, de manières, de ton, d’intrigues, de passé et d’avenir, tous deux doivent s’exclure l’un l’autre d’ici à un temps donné ; c’est une alliance momentanée, mais ce n’est pas une communauté de principes : tout cela aura une fin, une fin prochaine, à la première crise décisive.

Je n’ignore pas que les principes politiques, les formes du ministère Thiers et Guizot, plaisent au roi, et particulièrement à la cour ; mais je sais