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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/640

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selon qu’ils ont admis des idées à priori ou des idées à posteriori ; mais la faculté même de connaître, la capacité et les bornes de cette faculté, on s’en était moins occupé. Ce fut la tâche que s’imposa Kant : il soumit notre faculté de connaître à une enquête impitoyable, sonda toutes les profondeurs de cette faculté, et en constata les limites. Il trouva sans doute en résultat que nous ne pouvons rien savoir de beaucoup de choses que nous donnions précédemment comme nos connaissances intimes. C’était très mortifiant ; mais il était toujours utile de savoir quelles choses nous ne pouvions savoir. Qui nous met en garde contre un chemin inutile, nous rend autant service que celui qui nous indique la vraie route. Kant nous prouve que nous ne savons rien des choses telles qu’elles sont en elles-mêmes et par elles-mêmes, mais que nous n’en avons connaissance qu’autant et de la manière qu’elles se réfléchissent dans notre esprit. Nous sommes alors tout-à-fait comme ces prisonniers dont Platon, dans le septième livre de sa République, fait une peinture si affligeante. Ces malheureux, enchaînés par le cou et par la cuisse, de telle façon qu’ils ne peuvent tourner la tête, sont assis dans une prison ouverte par le haut, et c’est d’en haut qu’ils reçoivent quelque lumière ; mais cette lumière vient d’un feu dont la flamme s’élève derrière eux, et qui est séparé d’eux par un petit mur. Le long de ce mur marchent des hommes qui portent toutes sortes de statues, images de bois et de pierre, et qui parlent entre eux. Les pauvres prisonniers ne peuvent voir ces hommes qui ne sont pas de la hauteur du mur ; et des statues qui dépassent cette élévation, ils ne voient que les ombres qui se promènent sur la muraille en face d’eux. Ils prennent alors ces ombres pour les objets eux-mêmes, et, trompés par l’écho de leur prison, croient que ce sont les ombres qui parlent entre elles.

La précédente philosophie, qui allait furetant partout pour amasser sur toutes choses des indices et des faits qu’elle classait ensuite, prit fin à l’apparition de Kant. Celui-ci ramena les recherches dans les profondeurs de l’esprit humain, et s’enquit de ce qui s’y passait. Ce n’est pas sans raison qu’il compare sa philosophie à la méthode de Copernic. Autrefois, quand on laissait tranquille la terre autour de laquelle on faisait tourner le soleil, les calculs astronomiques ne concordaient pas toujours très bien.