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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/644

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REVUE DES DEUX MONDES.

Tu ris de mes grands poulets, cher lecteur ; mais cette idée enfantine n’est pas encore trop éloignée de celle des déistes les plus avancés. Pour donner une idée d’un Dieu extra-mondain, l’Orient et l’Occident se sont épuisés en hyperboles puériles. Mais l’imagination des déistes s’est tourmentée sans succès de l’infini de l’espace et du temps. C’est ici que se montre leur impuissance, la faiblesse de leur idée cosmogonique, de leur explication de la nature de Dieu. Nous n’éprouvons donc pas grand’peine à voir condamner cette idée ; mais cette peine, Kant la leur a fait réellement éprouver, en détruisant leurs preuves de l’existence de Dieu. Et lors même que la preuve ontologique serait sauvée, le déisme ne s’en trouverait pas mieux ; car cette preuve serait aussi profitable au panthéisme. Pour me faire mieux comprendre, j’ajouterai que la preuve ontologique est celle que Descartes a employée, et que long-temps auparavant, au moyen-âge, Anselme de Canterbury avait exprimée sous la forme d’une prière. On peut même dire que saint Augustin a déjà employé la preuve ontologique dans le second livre de l’ouvrage de libero arbitrio.

Je m’abstiens, comme je l’ai dit, de tout développement populaire de la polémique de Kant contre ces preuves ; je me contente d’assurer que, depuis ce temps, le déisme s’est évanoui dans le domaine de la raison spéculative. Cette nouvelle funèbre aura peut-être encore besoin de quelques siècles pour être universellement répandue… mais nous avons, nous autres, pris le deuil depuis long-temps. De profundis.

Vous croyez peut-être que nous n’avons plus qu’à rentrer chez nous ! Il nous reste, parbleu ! à voir encore une pièce ; après la tragédie vient la farce. Emmanuel Kant a jusqu’ici pris la voix effrayante d’un philosophe inexorable, enlevé le ciel d’assaut, et passé toute la garnison au fil de l’épée. Vous voyez étendus sans vie les gardes-du-corps ontologiques, cosmologiques et physico-théologiques de Dieu ; lui-même, privé de démonstration, nage dans son sang ; il n’est plus désormais de miséricorde divine, de bonté paternelle, de récompense future pour les privations actuelles ; l’immortalité de l’ame est à l’agonie… On n’entend que râle et gémissemens… Et le vieux Lampe, spectateur affligé de cette catastrophe, laisse tomber son parapluie ; une sueur d’angoisse et de