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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/663

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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

libre de Leipzig, les explications de Rosenmüller. On y a réintroduit le catéchisme de Luther, et les professeurs ont été reportés aux livres symboliques. Cela gagnera et s’étendra… En somme, rien n’est plus sûr que le plus certain, c’est-à-dire que si les Français ne conquièrent pas une immense suprématie, et s’ils n’introduisent pas des changemens en Allemagne, du moins dans la plus grande partie, d’ici à quelques années, un homme connu pour avoir pensé une fois librement, ne trouvera plus en Allemagne un coin pour y reposer sa tête… Il y a pour moi une chose encore plus sûre que la plus certaine, c’est que, si je trouve quelque part un trou pour m’y caser, je ne compterais pas deux ans avant d’en être chassé, et il est dangereux de se faire chasser de plusieurs lieux ; c’est ce qu’enseigne l’exemple historique de Rousseau.

« Supposons que je me taise, que je n’écrive plus une seule ligne, me laissera-t-on tranquille à cette condition ? Je ne le crois pas, et en admettant que je le pusse espérer de la part des cours, le clergé, partout où j’irai, n’ameutera-t-il pas contre moi la populace, ne me fera-t-il pas lapider, et ensuite… ne supplieront-ils pas les gouvernemens de m’éloigner comme un homme qui excite des troubles ? Mais faut-il donc que je me taise alors ? Non, je ne le dois pas en vérité, car j’ai sujet de croire que si quelque chose peut être sauvé de l’esprit allemand, ce peut être par ma parole ; tandis que, par mon silence, la philosophie subirait une ruine complète et prématurée. Ceux dont je n’espère point qu’ils me laisseront exister dans mon silence, j’espère encore moins qu’ils me laisseront parler.

« Mais je les convaincrai de mon innocence… Cher Reinhold, comment peux-tu supposer à ces hommes de bonnes intentions pour moi ? Plus je me laverai, plus je me justifierai, plus ils deviendront noirs, et plus grand sera mon véritable crime. Je n’ai jamais cru qu’ils poursuivissent mon soi-disant athéisme : ce qu’ils poursuivent en moi, c’est le penseur libre qui commence à se rendre intelligible (un bonheur pour Kant fut l’obscurité de son style) ; ce qu’ils poursuivent en moi, c’est le démocrate ; ce qui les effraie comme un fantôme, c’est l’indépendance que ma philosophie éveille, et qu’ils pressentent confusément. »