Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/672

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
672
REVUE DES DEUX MONDES.

de sa propre pensée ; il a quitté l’autel que lui-même avait consacré ; il est rentré dans les étables religieuses du passé ; il est maintenant bon catholique et prêche un dieu extra-mondain, un dieu personnel qui a eu la folie de créer le monde. Les vieux croyans peuvent, s’ils le veulent, sonner les cloches et chanter leur Kyrie eleison en l’honneur d’une telle conversion… Cela ne prouve rien pour leur doctrine ; cela prouve seulement que l’homme tourne au catholicisme quand il est vieux et fatigué, que ses forces physiques et spirituelles l’abandonnent, qu’il ne peut plus ni jouir ni penser. Tant de penseurs libres se sont convertis au lit de mort !… Mais du moins ne vous en vantez pas. Ces légendes de conversions appartiennent tout au plus à la pathologie et ne rendraient qu’un mauvais témoignage en faveur de votre cause. Enfin, elles ne prouvent après tout qu’une chose, c’est qu’il vous fut impossible de convertir ces penseurs, tant qu’ils vécurent sains de corps et d’esprit.

Ballanche a dit, je crois, que c’est une loi de la nature que les initiateurs meurent aussitôt après avoir accompli leur œuvre d’initiation. Hélas ! mon cher M. Ballanche, cela n’est vrai qu’en partie, et je pourrais soutenir avec plus de raison que, lorsque l’œuvre d’initiation est accomplie, l’initiateur meurt… ou se fait apostat. Et peut-être pourrions-nous ainsi adoucir jusqu’à un certain point le jugement sévère que l’Allemagne intelligente porte sur M. Schelling ; nous pourrions peut-être changer en douce commisération ce mépris accablant qui pèse sur lui ; et sa désertion de sa propre doctrine, nous l’expliquerions comme la suite de cette loi naturelle, qui veut que l’homme qui a consacré toutes ses forces à l’expression ou à l’exécution d’une idée, cette tâche une fois accomplie, tombe épuisé dans les bras de la mort ou dans ceux de ses ci-devant adversaires.

Après une semblable explication, nous comprendrons peut-être d’autres phénomènes plus crians de cette époque, qui nous affligent profondément. Nous comprendrons alors pourquoi des hommes qui ont tout sacrifié pour leur opinion, qui ont combattu et souffert pour elle, alors qu’ils ont enfin vaincu, abandonnent cette opinion et passent dans le camp ennemi ! Après une pareille déclaration, je dois aussi faire remarquer que ce n’est pas seulement