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un Anglais qui parle) confessât jamais si publiquement sa culpabilité, son amour illégitime pour une femme si indigne de lui. »

Que la publication de ces sonnets ne soit pas du fait de Shakspeare, d’accord, et j’étendrai la concession à l’ensemble du recueil, aux premiers aussi bien qu’aux derniers ; mais que sa maîtresse soit un être de raison, ma complaisance pour les idées de M. Drake ne va pas jusqu’à partager celle-ci. Je respecte la morale autant qu’un autre : quant à Shakspeare, personne ne l’admire ni ne l’aime plus que moi ; mais en vérité, parce qu’il n’y a qu’un reproche à lui faire, doit-on à toute force l’en disculper ? Pourquoi l’homme vertueux, comme l’homme de génie, ne se rapprocherait-il pas de notre nature par quelque légère imperfection ? Serait-il faux de dire que nous aimons mieux les voir de chair et de sang comme nous sommes ? Et même, puisque me voilà en veine de franchise, pourquoi ne confesserais-je pas que Shakspeare entraîné, malgré qu’il en ait, par une passion invincible pour une femme qui ne mérite pas un tel amour et qui froisse impitoyablement ce cœur si sensible, ne me semble pas aussi coupable que le fait M. Drake avec sa justification ; que lorsque j’entends ce grand homme, se plaignant des infidélités de sa maîtresse, se comparer à un enfant qui pleure pour que sa mère le reprenne dans ses bras : il me paraît mille fois plus grand, mille fois meilleur que toutes les prudes mâles et femelles de l’Angleterre ? Mais laissons de côté toutes ces discussions de personnes : je veux profiter de l’espace qui me reste pour examiner ces poésies sous un autre point de vue.

Le goût de la poésie italienne, et par suite du sonnet, se répandit en Angleterre sous le règne d’Henri viii. Vingt-cinq ans au moins avant la naissance de Shakspeare, Wyat avait écrit nombre de sonnets, dans lesquels il avait suivi assez exactement le modèle italien ; mais c’en est à peu près le seul mérite : ils sont fort médiocres et bien au-dessous de ceux de Surrey, son noble et malheureux ami, qui, moins sévères de formes, rachètent cette irrégularité par des qualités d’un plus haut prix, par la pureté, la simplicité, le charme de l’expression, par une sensibilité pleine de naturel, par un pittoresque plein de vie.

Les sonnets de Thomas Watson, n’en déplaise à Steevens qui