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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/724

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REVUE DES DEUX MONDES.

le brave homme ne pouvait comprendre que je louasse une voiture à la condition de ne pas monter dedans. Enfin, je lui fis comprendre, grace à mon interprète Francesco, que, désirant voir en détail certaines parties de la route, une course trop rapide ne me permettrait pas de me livrer à cette investigation. Ces choses convenues, nous nous mîmes en marche, en prenant la route nouvelle du Saint-Gothard à Altorf.

Cette route, profitable surtout au canton d’Uri, a été exécutée par lui, avec l’aide de ses frères les plus riches : les cantons de Berne, de Zurich, de Lucerne, de Bâle, lui ouvrirent généreusement leur bourse à son premier appel, et lui prêtèrent entre eux, et sans intérêts, huit millions, qu’il acquitte religieusement en leur rendant une somme annuelle de cinq cent mille francs.

À peine fus-je à un quart de lieue d’Andermatt que j’usai du privilége d’aller à pied. Nous étions arrivés à l’un des endroits les plus curieux de la route : c’est un défilé formé par le Galenstok et le Crispalt, rempli entièrement par les eaux de la Reuss, que j’avais vu naître la veille au sommet de la Furca, et qui, cinq lieues plus loin, mérite déjà, par l’accroissement qu’elle a pris, le nom de la Géante qu’on lui a donné. La route, arrivée à cet endroit, s’est donc heurtée contre la base granitique du Crispalt, et il a fallu creuser le roc pour qu’elle pût passer d’une vallée à l’autre. Cette galerie souterraine, longue de cent quatre-vingts pieds, et éclairée par des ouvertures qui donnent sur la Reuss, est vulgairement appelée le trou d’Uri.

Après avoir fait quelques pas de l’autre côté de la galerie, je me trouvai en face du Pont du Diable : je devrais dire des Ponts du Diable, car il y en a effectivement deux ; il est vrai qu’un seul est pratiqué, le nouveau ayant fait abandonner l’ancien.

Je laissai ma voiture prendre le pont neuf, et je me mis en devoir de gagner, en m’aidant des pieds et des mains, le véritable Pont du Diable, auquel le nouveau favori est venu voler, non-seulement ses passagers, mais encore son nom.

Les ponts sont tous deux jetés hardiment d’une rive à l’autre de la Reuss, qu’ils franchissent d’une seule enjambée, et qui coule sous une seule arche : celle du pont moderne a soixante pieds de haut et vingt-cinq de large ; celle du vieux pont n’en a que quarante-