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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/728

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Eh ! dit le bailli, voilà votre ame qui se sauve ; courez donc après, monseigneur.

Satan était furieux ; il avait compté sur l’ame d’un homme, et il était forcé de se contenter de celle d’un chien. Il y aurait eu de quoi se damner si la chose n’eût pas été faite. Cependant, comme il était de bonne compagnie, il eut l’air de trouver le tour très drôle, et fit semblant de rire tant que le bailli fut là ; mais à peine le magistrat eut-il le dos tourné, que Satan commença à s’escrimer des pieds et des mains pour démolir le pont qu’il avait bâti ; il avait fait la chose tellement en conscience, qu’il se retourna les ongles et se déchaussa les dents avant d’en avoir pu arracher le plus petit caillou.

— J’étais un bien grand sot, dit Satan. Puis, cette réflexion faite, il mit les mains dans ses poches et descendit les rives de la Reuss, regardant à droite et à gauche, comme aurait pu le faire un amant de la belle nature. Cependant il n’avait pas renoncé à son projet de vengeance. Ce qu’il cherchait des yeux, c’était un rocher d’une forme et d’un poids convenables, afin de le transporter sur la montagne qui domine la vallée, et de le laisser tomber de cinq cents pieds de haut sur le pont que lui avait escamoté le bailli de Göschenen.

Il n’avait pas fait trois lieues qu’il avait trouvé son affaire.

C’était un joli rocher, gros comme une des tours de Notre-Dame ; Satan l’arracha de terre avec autant de facilité qu’un enfant aurait fait d’une rave, le chargea sur son épaule, et prenant le sentier qui conduisait au haut de la montagne, il se mit en route, tirant la langue en signe de joie et jouissant d’avance de la désolation du bailli quand il trouverait le lendemain son pont effondré.

Lorsqu’il eut fait une lieue, Satan crut distinguer sur le pont un grand concours de populace ; il posa son rocher par terre, grimpa dessus, et arrivé au sommet, aperçut distinctement le clergé de Göschenen, croix en tête et bannière déployée, qui venait de briser l’œuvre satanique et de consacrer à Dieu le Pont du Diable.

Satan vit bien qu’il n’y avait plus rien de bon à faire pour lui ; il descendit tristement, et rencontrant une pauvre vache qui n’en