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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/745

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L’ARÉTIN.

irais-je poser mon escabeau dans la mosquée des Turcs ou dans la synagogue des Juifs.

« Mais, après tout, ne nous plaignons pas. Venise est une assez bonne ville, sur ma parole ; revenez-y bien vite. Ici la vie est galante, frère ; ici les femmes sont jolies. Mauvais sujet, revenez donc vite ! Cher ami, sensuel que vous êtes, il me semble que je vous vois sur le grand canal ; vous voilà sur le quai ; le marbre de mon escalier retentit sous vos pas, et mes Arétines vous reçoivent. Venez vite, frère, et jouissons de la vie. »

Le même ami, le capitaine Rangone, lui reproche de faire trop de dépenses :

« Assurément, mon cher, lui répond-il, des vingt-cinq mille écus que j’ai tout récemment tirés des entrailles des princes, par l’alchimie de ma plume, il n’y en a pas un que je n’aie jeté au vent, comme vous le dites. Eh bien ! que faire donc à cela ? si je suis né pour vivre ainsi, qui m’empêchera de vivre ainsi ? »


Récapitulons en effet ses revenus : une pension de deux cents écus de l’empereur Charles-Quint, une de cent écus du marquis du Guast, une autre de cent écus du duc d’Urbin, qui bientôt la doubla, une de cent écus de Louis Gritti ; une autre de même somme du prince de Salerne, une de cent vingt écus de Baldovino di Monte ; six cent vingt écus. Antoine de Lève le supplia de vouloir bien lui fixer le taux de la pension qu’il accepterait. En 1541, il jouissait de huit cents écus de pension annuelle. L’année suivante il compta dix-huit cents écus de gratification, et dans le cours de dix-huit ans, il en reçut vingt-cinq mille de divers princes et seigneurs. Scipion Ammirato et le Gaddi affirment que pendant le cours de sa vie, plus de soixante-dix mille écus passèrent entre les mains de l’Arétin ; somme énorme, et qui, rapportée à la valeur actuelle de notre monnaie, dépasserait un million. « Jamais, dit l’Ammirato, je n’ai vu vieillard orné de vêtemens plus splendides, et de plus riches habits ; ce n’étaient qu’étoffes d’or et de soie. »

Ses vices n’étaient pas les seules issues par lesquelles s’écoulaient tant de richesses ; j’ai parlé de sa prodigalité et de sa munificence ; Titien, le Doni, Marcolini s’étonnent souvent, dans leurs lettres et dans leurs mémoires, de sa brillante et fastueuse hospitalité. Il ne