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et un pourpoint à la générosité ? « Dans mes poésies, dit-il[1], vous verrez s’étendre à nu les fibres secrètes de mes intentions ; se redresser les muscles de mes idées, et se dessiner le profil de mes prédilections. » Avant lui, personne n’avait écrit de cette façon ; c’est la source première des précieuses ridicules. Cette nouveauté ne fut pas sans éclat ; la rapidité phénoménale de l’écrivain, un certain entraînement de style qu’il possède toujours ; une certaine chaleur de narration dont nous avons donné des exemples, achevèrent la révolution : car il fit révolution. On remplirait un dictionnaire de ses hypotyposes hardies et de ses métaphores dignes du marquis de Jodelet.

« N’ensevelissez pas mes Espérances dans le tombeau de vos Promesses menteuses ! »

« Je vais pêcher dans le lac de ma Mémoire, avec l’hameçon de ma Pensée ! »

« Arrêtons avec le Mors de la prudence la bouche ardente de la jeunesse ! »

« Mon Mérite se dore du vernis de votre Faveur ! »

« Le coin de la Reconnaissance enfonce le nom de mes amis dans mon cœur ! »

« Vous jetez les Bûches de votre Courtoisie dans le foyer brûlant de mon amitié ! »

« La lime de la Conversation aiguise la Finesse de mon esprit, etc., etc. »

Voilà le style ordinaire de ses compositions. Il aime aussi la répétition des mots, l’entassement des épithètes, l’accumulation des couleurs ; il fait volontiers d’un adjectif un adverbe, et d’un adverbe un adjectif ; il dira : le coloré des joues, pour le coloris, le scintillant des yeux, pour l’étincelle ; le désordonné de la poésie, pour le désordre. Il allongera misérablement ses phrases par des redondances emphatiques : « C’était une ruine antique ; admirablement grande, grandement admirable. » Balzac vous offre, ainsi que Voiture, le dernier écho de cette sonore et détestable école, dont l’Arétin est bien évidemment le fondateur, et que Molière a étouffée sous le ridicule.

  1. Lettere, t. ii, p. 50.