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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/119

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LES DEUX MUSES.

Lumière insaisissable, et passer tour à tour
Le chœur de ses douleurs de la veille et du jour,
Et ses illusions défiler une à une
Comme de blanches sœurs aux rayons de la lune.

Les trésors à mes pieds roulent de toutes parts ;
C’est pour moi que l’épi tombe sous les faucilles,
Que l’or abonde aux mains débiles des vieillards ;
Pour moi que la voix vient aux belles jeunes filles ;
C’est pour me faire honneur et me glorifier
Que la vierge en amour laisse la mélodie
Épuiser dans son sein les sources de la vie,
Et travaille sans cesse, oubliant au clavier
La funeste pâleur dont sa face est couverte,
Et la fraîcheur du soir, et la croisée ouverte,
Et la Mort qui l’attend et vient pour l’épier
Chaque fois qu’elle passe une nuit à veiller ;
Puis, lorsque pour jamais sa paupière est éteinte,
Quand sur l’ivoire ému de sa divine plainte,
À la brise du soir, tremblent ses derniers pleurs,
Je recueille son ame, et dans mon élysée,
Dans l’harmonie, et loin des terrestres douleurs,
Je la transporte ainsi qu’une note embrasée.


LA POÉSIE.


Je n’ai pour vêtement que ma robe de lin,
Je n’ai dans mes cheveux perle ni diadème,
Et les fleurs de mon front, je les cueille moi-même,
Quand l’aurore se lève, en mon petit jardin.
Je traîne dans les cieux ma pauvreté divine.
Comme le mauvais riche, aux jours de la moisson,
Repousse, en l’insultant, une triste orpheline
Qui, pour avoir sa part des restes du sillon,
Parmi les serviteurs dans l’ombre s’est glissée ;
Ainsi l’homme cruel de son bien m’a chassée,
Et désormais livrée à mon affliction,
Je vais à l’aventure et comme une insensée,