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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/14

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REVUE DES DEUX MONDES.

caractère ne fut point adouci et amoindri par l’idée d’être, avant tout, homme de bonne compagnie, comme le don Juan de Molière. Il ne songeait aux autres hommes que pour marquer sa supériorité sur eux, s’en servir dans ses desseins ou les haïr. Le don Juan n’a jamais de plaisir par les sympathies, par les douces rêveries ou les illusions d’un cœur tendre. Il lui faut, avant tout, des plaisirs qui soient des triomphes, qui puissent être vus par les autres, qui ne puissent être niés ; il lui faut la liste déployée par l’insolent Leporello aux yeux de la triste Elvire.

Le don Juan romain s’est bien gardé de la maladresse insigne de donner la clé de son caractère, et de faire des confidences à un laquais, comme le don Juan de Molière ; il a vécu sans confident, et n’a prononcé de paroles que celles qui étaient utiles pour l’avancement de ses desseins. Nul ne vit en lui de ces momens de tendresse véritable et de gaieté charmante qui nous font pardonner au don Juan de Mozart ; en un mot, le portrait que je vais traduire est affreux.

Par choix, je n’aurais pas raconté ce caractère, je me serais contenté de l’étudier, car il est plus voisin de l’horrible que du curieux ; mais j’avouerai qu’il m’a été demandé par des compagnons de voyage auxquels je ne pouvais rien refuser. En 1823, j’eus le bonheur de voir l’Italie avec des êtres aimables, et que je n’oublierai jamais ; je fus séduit comme eux par l’admirable portrait de Béatrix Cenci, que l’on voit à Rome, au palais Barberini.

La galerie de ce palais est maintenant réduite à sept ou huit tableaux ; mais quatre sont des chefs-d’œuvre : c’est d’abord le portrait de la célèbre Fornarina, la maîtresse de Raphaël, par Raphaël lui-même. Ce portrait, sur l’authenticité duquel il ne peut s’élever aucun doute, car on trouve des copies contemporaines, est tout différent de la figure qui, à la galerie de Florence, est donnée comme le portrait de la maîtresse de Raphaël, et a été gravé, sous ce nom, par Morghen. Le portrait de Florence n’est pas même de Raphaël. En faveur de ce grand nom, le lecteur voudra-t-il pardonner à cette petite digression ?

Le second portrait précieux de la galerie Barberini, est du Guide ; c’est le portrait de Béatrix Cenci, dont on voit tant de mauvaises gravures. Ce grand peintre a placé sur le cou de Béatrix un bout de draperie insignifiant : il l’a coiffée d’un turban ; il eût craint de pousser la vérité jusqu’à l’horrible, s’il eût reproduit exactement l’habit qu’elle s’était fait faire pour paraître à l’exécution, et les cheveux en désordre d’une pauvre fille de seize ans, qui vient de s’abandonner