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Madrid et le prisonnier de Sainte-Hélène, il y a toute la distance qui sépare l’étourderie du génie. Si le fils de M. Hugo doit un jour entrer dans l’histoire et jouer parmi nous un rôle éclatant, s’il préfère à la peinture la guerre ou la politique, j’espère qu’il se sera préparé au rôle qu’il aura choisi par la lecture attentive des annales européennes, et qu’il ne prendra pas pour modèle un homme tel que François Ier. Mais si la gloire doit être pour lui une croix aussi lourde que pour son père, puisse-t-il ne jamais la connaître !

M. Hugo, depuis qu’il écrit pour le théâtre, se plaint amèrement en toute occasion des inimitiés qui le poursuivent. Poète lyrique, il jouissait avec bonheur des applaudissemens qu’il recueillait ; depuis que son nom a été prononcé devant le parterre, nous devons croire que sa vie n’est pas heureuse. La pièce adressée à Mlle L. B. n’est qu’une amplification élégante, mais verbeuse, sur un thème déjà développé par l’auteur dans les Chants du crépuscule, et ce thème c’est le doute. M. Hugo considère le doute comme un des plus grands malheurs infligés à l’humanité ; nous partagerons volontiers son avis, pourvu toutefois qu’il consente à distinguer le doute scientifique du doute appliqué aux affections dont nous avons besoin. Car l’étude des lois éternelles de la nature et des évènemens accomplis, malgré les innombrables tâtonnemens imposés à notre intelligence, est assurément une des joies les plus grandes de notre vie. Le doute, en ce qui concerne la science, est souvent un instrument puissant, une méthode d’invention ; le doute, ainsi conçu, loin d’être un malheur, nous rapproche de plus en plus de la vérité, et, puisque notre intelligence est avide de connaître, ce serait folie de déplorer les conditions attachées à l’agrandissement de nos idées. Sans doute il vaudrait mieux arriver plus promptement à l’évidence et n’avoir pas à traverser tant de ténèbres lumineuses avant de voir la lumière éclatante et pure ; mais il n’y a pas une intelligence, amoureuse de savoir, qui ne se résigne facilement au doute comme à un noviciat ; car la complication même des procédés auxquels nous sommes obligés d’avoir recours, pour nous saisir de l’évidence, grave plus profondément les idées acquises dans notre mémoire. Les conquêtes lentes et laborieuses sont souvent les plus durables. Il est probable que M. Hugo, en déplorant le doute sous lequel gémit l’humanité, était moins préoccupé de l’incertitude de la science que de la mobilité des affections sans lesquelles la vie sociale n’est qu’une longue torture. Si nous acceptons son témoignage comme irrécusable, s’il est vrai qu’il ne voie autour de lui que perfidie et trahison, amitiés menteuses,