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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/211

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DE LA RUSSIE.

bien conseillés, avertis par la baisse extrême du prix des blés, essayèrent de fonder des fabriques, qui produisirent rapidement de grands résultats. Ils réparèrent en peu d’années leur fortune diminuée au service, et dégagèrent leurs terres. Dès ce moment, ce fut comme une mode en Russie de posséder des établissemens industriels. Ceux des nobles qui restaient au service voulurent aussi en fonder ; ils chargèrent leurs intendans de ce soin ; mais leurs pertes, comparées aux bénéfices des autres nobles qui habitaient leurs terres, et surveillaient eux-mêmes leurs établissemens, les décidèrent à les imiter. Ils quittèrent donc le service pour ne pas voir diminuer leur fortune par l’industrie, comme les autres l’avaient quitté pour la rétablir par le commerce ; et aujourd’hui, Moscou et tous les gouvernemens au-delà de cette ville sont couverts de manufactures et d’usines qui occupent des masses innombrables d’ouvriers. Les draps, les étoffes de coton, de soie, de laine, la porcelaine, le verre, tous les objets de consommation, se fabriquent maintenant à Moscou et dans ces gouvernemens, et à des prix si bas, que les prohibitions, mises en vigueur depuis sept ans, par le comte de Cancrin, contre les marchandises anglaises, viennent d’être levées comme inutiles. À Saint-Pétersbourg, on a regardé cette abolition, toute récente, comme une concession obtenue par lord Durham, et on s’efforce, sans doute, de la présenter sous ce point de vue à Londres ; mais le fait est que l’industrie russe se croit assez avancée pour hasarder ce nouveau système, et admettre l’entrée, avec droits, des produits anglais, sans craindre la concurrence.

Un fait assez curieux, c’est que le moyen d’engagement des terres, employé depuis l’impératrice Catherine, pour ruiner les nobles et les mettre sous la main de la couronne, a servi, cette fois, à leur rendre leur fortune et toute l’indépendance dont ils sont susceptibles. En effet, les établissemens industriels ont donné de si grands produits depuis dix ans, qu’il y avait encore bénéfice pour les nobles qui manquaient des capitaux que demandent les premiers frais de fabrication, à emprunter au lombard, et à engager leurs terres à 6 p. 100, afin de faire valoir le capital emprunté à 16 ou 18 pour 100, que rapportent encore les fabriques.

Ces bénéfices diminueront, mais la route est prise, les serfs accoutumés au travail des fabriques, et les nobles accoutumés à la résidence dans leurs terres, aux idées commerciales qui donnent des idées d’indépendance ; la nécessité d’écouler leurs produits les a forcés, à Moscou surtout, de fréquenter les marchands, de les voir