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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/251

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JOSEPH SPECKBAKER.

rent l’Innthal, mettant tout à feu et à sang. Schwatz fut livrée aux flammes, et le 17 mai Inspruck retomba au pouvoir de ses anciens maîtres.

Les insurgés s’étaient repliés sur le Brenner ; un découragement profond régnait dans leurs rangs ; beaucoup avaient jeté leurs armes, et tout semblait perdu, quand la première victoire du mont Isel (29 mai 1809), due en grande partie à l’habileté et à la résolution de Speckbaker, vint rétablir les affaires des Tyroliens.

Les trois grands chefs de l’insurrection, André Hofer l’aubergiste, Haspinger le capucin, dit Barberousse, et Speckbaker, commandaient la petite armée tyrolienne. Hofer était le plus renommé, le plus mystique et le mieux obéi des trois chefs. Haspinger le capucin n’était pas le moins intrépide. On le voyait au fort de la mêlée, un énorme crucifix d’ébène à la main, exhortant ses compagnons, poursuivant les ennemis, et, comme il le disait, envoyant les uns en paradis en leur présentant le Christ à baiser, les autres chez Satan en leur brisant la tête avec la redoutable croix d’ébène. Speckbaker avait seul les qualités d’un général, une connaissance profonde du pays, un coup d’œil d’une étonnante justesse, une intrépidité rare et un admirable sang-froid dans l’action.

Au combat du mont Isel, Speckbaker occupait la droite de l’armée tyrolienne, et il était chargé d’emporter le pont de Volders et de détruire celui de Hall. Maître du pont de Volders dès le commencement de la journée, à la tête de six cents de ses compagnons les plus résolus, il se porte vers le pont de Hall. L’ennemi avait concentré toutes ses forces en arrière de ce pont, du côté de la ville, et un feu de mousqueterie et d’artillerie très vif, partant des remparts de la place, le balayait dans toute sa longueur et en défendait les approches. Speckbaker, arrivé à peu de distance du pont, fait faire halte à sa troupe, attache sa carabine en bandoulière, met le sabre à la main et montrant l’autre rive à ses compagnons : — Amis, leur dit-il, c’est là qu’est le prix de la course, en avant et que saint Florian nous protège ! Tous s’élancent à la suite de leur chef sur le pont, et le traversent au milieu d’une grêle de balles et d’une pluie de mitraille qui fait de larges trouées dans leurs rangs. Arrivé à l’extrémité du pont, Speckbaker s’y maintient jusqu’à ce que ses compagnons aient mis le feu à la charpente et que la flamme commence à briller. Alors il regagne tranquillement l’autre rive faisant toujours face à l’ennemi, et quand la fumée s’éclaircit un instant, lui envoyant quelques balles. Ce fut ce jour-là que les Bavarois, émerveillés de son audace, le surnommèrent le Diable de feu (der feuer Teufel) !

Dans cette affaire Speckbaker avait son fils Anderl auprès de lui. Lorsque le combat devint plus sérieux et que les Tyroliens se préparèrent à attaquer le pont, Speckbaker, cédant à un sentiment d’inquiétude bien naturel chez un père, ordonna à l’enfant de se retirer. Comme Anderl, après s’être éloigné un moment, revenait, et se retrouvait toujours au premier rang à côté de Speckbaker, celui-ci, dans un moment d’impatience,